Ce 24 octobre, frisson dans le monde de la cardiologie : le BMJ titre « Angiotensin converting enzyme inhibitors and risk of lung cancer : population based cohort study ».
Les IEC sont actuellement très largement prescrits et entrent en première ligne de la prise en charge de l’hypertension artérielle et de l’insuffisance cardiaque, deux problèmes de santé publique majeurs dans notre société. Ils ont longtemps été comparés aux ARA2 sans qu’une classe n'ait prouvé une supériorité en efficacité ou morbimortalité par rapport à l’autre. Les ARA2 n’entrainent pas l’accumulation de bradykinine et donc ne provoquent pas de toux ou d’angioedème. LA HAS, dans ses dernières recommandations (octobre 2016) préconise de prescrire en première intention indifféremment soit les IEC soit les ARA2.
Un risque qui apparaît sur le long terme
L’essai actuel est une étude de cohorte pour laquelle 992 061 patients britanniques, nouvellement traités pour HTA, sans antécédent de cancer, ont été inclus entre 1995 et 2015. Le suivi moyen était de 6,4 ans. Les patients ont été répartis en 3 groupes : IEC, ARA2, et pas d’IEC ou ARA2.
Le groupe IEC représentait 21 % des patients (dont 26 % de ramipril, 17 % lisinopril, 7 % périndopril), les ARA2 1,6 %. 10 % de la cohorte ont reçu les 2 classes.
Le critère de jugement principal était l’incidence du cancer du poumon en comparant les groupes IEC et ARA2. Critères secondaires : le lien en fonction de la durée d’exposition au traitement, l’étude en sous-groupe fumeurs ou non, et la comparaison avec un groupe thiazidique.
Au final, la prévalence de cancer du poumon a été de 1,3 ‰ patient-année (PA) dans l’ensemble de la cohorte, 1,6‰ PA dans le groupe IEC et 1,2 ‰ PA pour ARA2.
Le groupe IEC a présenté un excès de risque de cancer du poumon de 14 % (HR 1,14 (1,01-1,29) vs ARA2 et 6 % (HR 1,06 (1-1,13)) vs thiazidique (ARA2 et thiazidique comparable).
Quelle que soit la référence (ARA2 ou thiazidique), l’augmentation de risque est non significative avant 5 ans puis augmente avec la durée d’exposition, pour atteindre 31 % (HR 1,31 (1,08-1,59)) après 10 ans. Le tabac ne modifie pas cette association, les résultats dans l’analyse en sous-groupes sont moins probants l’effectif étant beaucoup plus faible.
Des points forts
Cet essai n'est qu'une étude de cohorte. Elle a l’avantage d’avoir été conçue pour répondre à la question spécifique du risque de cancer du poumon chez les patients traités au long cours par IEC. Ses résultats significatifs sont appuyés par une augmentation du risque liée à la durée d’exposition. De plus, il existe un rationnel physiologique (lire plus loin).
... et des points faibles
Cependant, les groupes n’étaient pas comparables, ils ont été ajustés sur l’âge, le sexe, la consommation de tabac et d’alcool, et l’IMC. Le groupe sous IEC présentait plus de facteurs de risques cardiovasculaires et davantage de traitements dont des statines.
Sur la cohorte initiale de près d’un million de patients, seuls les groupes IEC et ARA2 (22,6 %) ont été comparés. Après ajustement des groupes et suppression de certains pour données manquantes (ex : 17 % pour l’IMC), l’effectif s’est réduit comme peau de chagrin et le nombre de participants réellement inclus dans l’analyse n’est pas précisé. On peut également se demander pour quelle raison les IEC n’ont pas été comparés au 3e groupe, celui qui n’a reçu ni ARA2 ni IEC, à savoir 77,4 % de l’ensemble de la cohorte.
La bradykinine en cause
La justification physiopathologique que les auteurs attribuent à l’hypothèse cancérogène repose sur l’accumulation de bradykinine lors d’un traitement par IEC. Cette substance incriminée dans la fameuse toux sous IEC est présente en forte quantité dans les tissus tumoraux et aurait un effet sur l’angiogenèse et la prolifération des tumeurs. Mais cet effet a davantage décrit dans les tumeurs à petites cellules. Or, dans les cancers pulmonaires non à petites cellules, les IEC ont plusieurs fois été énoncés comme bénéfiques sur la survie. L’étude actuelle ne fait pas mention du type de cancers identifiés.
Les auteurs pondèrent leurs conclusions en affirmant que d’autres études sont nécessaires. Et le Dr Azoulay, coauteur de l’étude affirme : « Nous pensons que, même si les médecins devraient être conscients de cette association, il serait prématuré à ce stade de suspendre ce traitement chez les patients pour lesquels il existe des avantages connus. » (Source : Medscape Medical News)
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