Livres
H ISTORIEN et cinéphile - il est notamment l'auteur d'une monumentale histoire des « Cahiers du cinéma » ainsi que d'une biographie de François Truffaut, en collaboration avec Serge Tubiana - Antoine de Baecque signe aujourd'hui un passionnant essai, « les Eclats du rire » (1), sous-titré « La culture des rieurs au XVIIIe siècle ». Pourquoi s'intéresser au siècle des Lumières ? Parce qu'alors une culture spécifique s'est constituée autour du fait de rire, avec ses pratiques et ses représentations : des manières de rire, des sujets de rire, des groupes et des destins de rieurs, des réseaux, des genres particuliers, des valeurs, des débats et des polémiques.
Le but de l'ouvrage, original, est ainsi d'approcher la culture des Lumières par le biais révélateur du rire. Et plus précisément, de revenir aux origines de la guerre du rire révolutionnaire, puisque, dès 1789, la politique est le point d'aboutissement de la culture des rieurs du siècle, lesquels peuvent être aristocrates ou patriotes.
C'est ainsi qu'Antoine de Baecque détaille avec allégresse les trois grandes traditions du rire des Lumières.
Le bel esprit, revendiqué par le « Régiment de la calotte » au début du siècle puis par les persifleurs de la « faction satyrique » : un rire qui affirme sa culture nobiliaire et qui cherche à préserver des habitudes, une langue, un esprit, hérités de la tradition, contre les éclats de la modernité ; un rire, illustré avec brio par Rivarol, qui lutte contre l'absolutisme comme contre la Révolution.
La gaieté, ensuite, qui vise à établir le « bon rire » comme un trait fondamental du caractère national, l'attachant à la culture gauloise et l'opposant ainsi à la revendication aristocratique du bel esprit ; une gaieté française parfaitement définie par le journaliste patriote Joseph Antoine Cérutti et qui se devait d'être au service de la pédagogie révolutionnaire.
Décriée par la satire et par la gaieté, comme synonyme de bassesse et de vulgarité, la farce, enfin, est néanmoins un genre à la mode et un spectacle goûté par tous ; le poissard, la farce ivrogne, l'opéra comique, l'arlequinade, le burlesque, le scatologique, les genres sont multiples et séduisent une population très mélangée ; avec une mention spéciale, souligne l'auteur, pour le cabaretier et son plus célèbre représentant de la fin du XVIIIe siècle, Jean Ramponeau.
Antoine de Baecque mêle habilement les anecdotes concernant toutes ces sociétés, clubs, académies ou regroupements qui possédaient chacun leurs règles, leurs cérémonies ou leurs publications - la Société du bout du banc, l'Académie de ces dames et de ces messieurs, les Actes des Apôtres... - et les portraits de ces rieurs qui ont laissé trace de leurs éclats - le marquis de Bièvre, virtuose du calembour, le vicomte de Mirbeau, « frelon » aristocrate ou le journaliste Antoine Joseph Gorsas qui fonda le « Courrier », l'un des principaux titres de la presse révolutionnaire qui dut en grande partie son succès au savoir-faire-rire de son auteur.
Dommage que la guerre du rire n'ait pas été la seule à faire alors des victimes !
Un Persan du XXIe siècle
L'ouvrage signé Antoine Gravats, « De l'usage du tocard en milieu urbain » (2), est la meilleure preuve que le rire n'est pas le propre d'un siècle, même si celui des Lumières est exceptionnel.
Quelques phrases du résumé en laissent imaginer le contenu : « Après cinq ans de pouvoir flasque et terne, Jules le Charlot parviendra-t-il à briguer un second mandat prestigieux à l'Hôtel de Ville ? Cette question, l'univers entier se la partage avec le conseiller en illuse du politicailler, Alexis le Vaslok, un transfuge du bloc sauvknoutiste... ».
Plus clairement - et en faisant fi du langage très personnel inventé par l'auteur et qu'il a pris soin de répertorier dans un Vocabularnosc ! - il s'agit d'un pamphlet qui s'attache aux situations et aux personnages qui constituent le tissu responsable de notre société et où le héros, Alexis le Vaslok, est à la « bourgemaistrie de Frétilly » et au monde politique du XXIe siècle ce que le Persan était à la France et à sa cour du XVIIIe siècle.
Il est bien entendu précisé que « toute référence avec des faits d'actualité relèverait d'un pur hasard abracadabrantesque » ; mais il n'empêche qu'on s'amuse bien à rapprocher les dérives narrées dans ce drôle de livre avec des échos de notre actualité.
Skaltologie
Vous connaissez bien sûr le docteur Abraham Davidovitch, le pionnier de la skaltologie, à qui l'on doit en particulier une remarquable description de la gayose, cette redoutable maladie transmise par les Skalts par voie émotionnelle. Non ? Découvrez-le alors dans l'essai de Maya Nahum et Jean Reznikow, « les Skalts, peuple extraordinaire » (3), qui est le fruit des recherches approfondies de ces deux scientifiques sur ce qui constitue un véritable problème humain...
Sous ce drôle de vocabulaire - encore - se cache une entité qui nous est familière, autrement appelée « sui ki est à la télé », tellement familière qu'on n'utilise plus que les initiales et qu'on dit : un Skalt, des Skalts.
Les Skalts ont envahi les Skaltières, ils sont toujours chez nous, savent tout et se mêlent de tout, ils nous évitent de parcourir le monde en nous le montrant, de réfléchir aux problèmes des hommes en ayant un avis sur tout.
En scientifiques rigoureux, les auteurs se sont donc installés sur leur canapé pendant des semaines et ne les ont pas quittés des yeux. Aujourd'hui, ils peuvent témoigner sur ce peuple extraordinaire qui tente de réduire l'homme à une simple image, à tel point que se pose la question de l'existence même de la réalité humaine ; et si la seule réalité n'était plus aujourd'hui que celle des Skalts ?
Candides de l'ère moderne, Maya Nahum et Jean Reznikow ont construit leur livre comme une étude pure et dure... et tout à fait loufoque.
Comment prendre le pouvoir
Tout aussi décapant est l'essai signé Stéphane Hoffmann, « la Gloire des cachalots » (4), qui est un recueil de 312 conseils pour prendre le pouvoir, et le garder. Après les recommandations générales : comment se servir de ses amis, comment virer ses collaborateurs, comment séduire ses ennemis, comment faire scandale à tout prix, comment propager des idées fausses pour égarer le peuple, etc., l'auteur passe aux recommandations particulières pour quelques corporations, dont les médecins figurent évidemment en bonne position à côté des banquiers, hommes politiques, journalistes et autres publicitaires ou internautes. Un deuxième degré qui n'interdit pas les vérités !
Mais revenons à un rire plus classique via le « Dictionnaire d'anecdotes et de mots d'esprit » (5) des spécialistes du genre, Mina et André Guillois.
L'ouvrage rassemble pas moins de 3 000 anecdotes et mots d'esprit, de Saint-Simon à Woody Allen. Un florilège qui, pour l'essentiel, ne provient pas des humoristes « professionnels » mais qui rassemble des traits d'esprit authentiques et improvisés. Que nos amoureux des bons mots sont allés chercher dans des confidences ou des chroniques qui, après leur publication dans la presse, n'ont jamais été recueillies en volumes.
Un feu d'artifice de drôleries qui sont regroupées par thèmes de Age, Amis, Amour, Animaux, Argent... à Télévision, Temps, Théâtre, Timidité, Travail.
(1) Editions Calmann-Lévy, 338 p., 149 F (22,71 euros).
(2) Editions Osmondes (01.42.59.11.11), 402 p., 120 F (18,30 euros).
(3) Editions du Seuil, Point Virgule, 124 p., 29 F.
(4) Editions du Rocher, 228 p., 98 F (14,94 euros).
(5) Editions Plon, 412 p., 119 F (18,14 euros).
De l'humour noir haut en couleur
Qui dit humour noir, dit Philippe Héraclès, l'auteur des très appréciés « Petit dictionnaire à mourir de rire » et « Grand Livre de l'humour noir ». N'y allant pas par quatre chemins, il nous entraîne droit au cimetière et a conçu un « Petit Livre de l'humour noir » auquel le marbre ou le granit des tombes sert de support.
Déplorant la tristesse des avis de décès et la banalité des épitaphes, il s'est mis en tête de créer un cimetière imaginaire où les pensées et les épitaphes « côtoient avec dérision l'humour que la vie et la mort devraient davantage nous inspirer... avant d'expirer ». Cela donne un cimetière ludique où les mots valent leur pesant d'éternité, ce que l'auteur appelle un « exercice de stèle » haut en couleur et qui n'inspire pas la mélancolie.
Exemples d'épitaphes : « J'aurai fait beaucoup de bien autour de moi. Ma disparition en est la preuve » ; « Je ne pensais pas qu'un jour je serais descendu si bas » ; « La terre promise, je l'ai enfin trouvée » ; « Pour changer de vie, rien de tel que la mort » ; « C'est la première cure d'amaigrissement que je réussis à tenir » ; « Croyant, provisoirement mort, attend résurrection » ; « Aujourd'hui, je décompose en vers » ; « Faites comme moi, aidez la Sécurité sociale à s'en sortir »...
Exemples de pensées : « Il était si mort qu'on aurait cru qu'il n'avait jamais existé » ; « Il n'a jamais rien su. Même quand il sera mort, il ne le saura pas » ; « Il était si seul qu'il n'y aurait plus que lui pour s'apercevoir de sa mort » ; « Par superstition, il demanda à être enterré à la tombe n° 13 » ; « Indifférent à tout, même sa mort l'aura laissé complètement froid » ; « Dans tout vivant, il y a un mort qui sommeille » ; « Il y a de nombreux avantages à être mort. L'inconvénient c'est qu'on n'en profite pas » ; « On peut rire de la mort des autres, jamais de la sienne (a-t-on déjà vu rire un mort ?) » ; « Les gens n'accordent guère d'importance à la vie. La preuve : quand ils la perdent, ils ne la réclament jamais »...
« Le Petit Livre de l'humour noir » par Philippe Héraclès, Le Cherche Midi éditeur, 160 pages, 59 F (8,99 euros).
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