Si « Le Généraliste » était paru en juin 1899

Le traitement de la conjonctivite granuleuse par les oculistes romains

Publié le 16/06/2015

« Nous devons à Sichel d’intéressantes études sur les cachets d’oculistes romains découverts dans les Gaules, en Bretagne et en Belgique. Desjardins et Thédenat nous ont aussi aidés à savoir que les affranchis de Rome, suivant en qualité de médecins spécialistes les armées conquérantes, portaient avec eux un cachet servant à imprimer sur la pâte molle des collyres le nom du médecin et celui du médicament.

L’emploi des collyres liquides était rare à cette époque et la plupart des agents utilisés en thérapeutique oculaire étaient employés sous forme solide ou demi-molle. Chaque oculiste avait un collyre de prédilection dont il faisait graver le nom à côté de son propre nom, sur une des faces de la pierre quadrangulaire qui était son cachet. Cette pierre était le plus souvent une serpentine. “ Lorsque le collyre ne se prêtait pas (certains liquides) à recevoir l’empreinte du cachet, son indication était néanmoins mentionnée sur une des faces de celle-ci.

Grâce à l’étude de ses cachets, il est aujourd’hui facile de se rendre compte de la thérapeutique préférée des oculistes romains, puisqu’ils ne manquaient pas d’indiquer à côté du nom du collyre l’usage auquel il était destiné, ou, plutôt, le nom de la maladie qu’il devait combattre .

A D A S P, lisons-nous souvent sur les cachets : il est aisé de traduire ad aspritudines, c’est-à-dire contre les granulations de la conjonctive. Si l’on en juge par la fréquence de cette indication, on ne peut douter que la conjonctivite granuleuse n’ait été très répandue et très connue au IIe siècle, époque à laquelle remontent presque tous les cachets retrouvés. Elle était de plus assez bien traitée et les traitements qu’on dirigeait contre elle ne différaient fort peu de ceux qu’on emploie encore aujourd’hui. Et Sir William Adams, qui se vantait d’avoir découvert cette maladie, pourtant décrite dans le livre hippocratique, où on recommande même, comme moyen de traitement, la scarification, récemment préconisée contre elle !

En 1889, j’ai communiqué à la Société de Médecine de Paris une petite note indiquant la composition de quelques collyres autrefois employés contre les granulations.

Parmi les médicaments que je citais, plusieurs ont disparu de la thérapeutique moderne et ne peuvent être mentionnés qu’à titre de curiosité ; d’autres sont encore employés, avec quelques modifications s’entend.

Le collyre “ crocodes ” a paru jouir d’une grande vogue puisqu’on le trouve mentionné douze fois sur les cachets qui nous sont connus. Pour Desjardins, ce serait le safran de mars ou sous-carbonate de fer. Le “ dioxsus ” était à base de vinaigre, d’après Marcellus (De Medicamentis Liber). Le “ Stacium ” , dit Desjardins, était composé d’huile de myrrhe. Les auteurs sont muets sur la constitution de l ` “anicetum ”. La formule du “ paccianum” est aussi inconnue : elle appartenait au célèbre Paccius Antiochus qui point ne la divulgua. La myrrhe entrait dans la formule du “ diasmyrne ” ; le cynocephalium dans celle du “ divinum ” (Fournié).

L’usage de ces différents produits a été abandonné ; il est peu probable, d’ailleurs, qu’ils aient jamais possédé quelque vertu curative.

Les granuleux n’ont pas guéri davantage par l’emploi du simple “ penicillum lene ”, petit pinceau d’après Pline, qu’on imbibait de vin miellé et qui servait à laver les yeux, à déterger les cils, non plus que par l’usage de l’“evodes ” (du grec, parfumé) qui paraît être un liquide odorant, comparable à notre eau de rose ; mais les patients ont pu être soulagés, dans une certaine mesure, par des nettoyages et des lavages qui empêchaient la stagnation des sécrétions conjonctivales.

Les formules qui vont suivre ont dû réellement jouir d’une grande efficacité et elles ont été plus ou moins maintenues dans la thérapeutique oculaire moderne contre les granulations.

Le “dialepidos ” était formé de paillettes d’oxyde de cuivre. Suivant Camuset, ce mot s’expliquerait ainsi : dia, au moyen de et lepidos , squames tombées du cuivre qu’on écrouait, ou protoxyde de cuivre, employé par les potiers pour obtenir le vernis vert. Broyé avec un acide mêlé à un excipient inconnu, il formait un caustique qu’on promenait sur les paupières.

Grâce à Marcellus et à Galien, nous possédons la formule complète de deux collyres employés contre les granulations.

Le premier nous donne celle du “ charma ” (du grec, agréable) : œris usti et loti (cuivre brûlé), turcæ arboris costici, ammonici guttae gummi , le tout dilué dans de l’eau de pluie.

Le second nous dit que le “sphargis ” est composé de cuivre brûlé, d’oxyde de zinc, de gomme d’acacia, de safran, d’opium et de gomme.

Pour les amateurs de précision scientifique, je citerai enfin les analyses de Baudrimont et Duquesnel faites sur deux fragments de collyres secs trouvés à Reims, l’un rouge et l’autre brun contenant du plomb, du fer et du cuivre.

Le cuivre était donc le principe actif de tous ces collyres ; il est encore aujourd’hui l’agent le plus précieux que nous possédons pour combattre la redoutable conjonctivite granuleuse. Il a subi triomphalement l’épreuve de dix-sept siècles écoulés. »

(Article du Dr A. Trousseau, médecin de la clinique des Quinze-Vingts, dans la « Chronique médicale, juin 1899)

Source : lequotidiendumedecin.fr