Je suis inspecteur général des affaires sociales et dans mes fonctions secondaires, président exécutif de la Cades, il n’y a pas de directeur. Créée en 1996, elle a été inaugurée en janvier 1997. Elle a donc vingt-cinq ans. Elle a pour fonction d’amortir, de détruire la dette de la Sécurité sociale. La Sécurité sociale n’est pas la seule dette sociale. Il y a un gros sujet qui est plus ou moins évoqué, c’est celle de l’Unedic qui est égale à à peu près deux ans de prestation. En ce qui concerne la Sécurité sociale, c’est 25 % d’une année de prestations. L’Unedic a connu une réforme de l’assurance chômage. On est dans un train de redressement des comptes de l’assurance chômage. La capacité réelle de l’unedic à détruire ses 60 milliards de dettes avant que l’on se retrouve dans une conjecture avec des taux d’intérêt beaucoup plus élevés est problématique. Les partenaires sociaux y réfléchissent. Faut-il la transférer à la Cades ? Cela sera un sujet pour le prochain gouvernement. Les organismes de retraites complémentaires n’ont pas de dettes. Elles ont des réserves.
Reprise immédiate de la dette
La Cades est un tout petit établissement. Il y a 9 personnes physiques soit 7 ETP. Ce sont des contractuels payés au prix du marché. Cela n’a rien à voir avec les salaires de la fonction publique. Il emprunte sur le marché international des capitaux. On peut utiliser toutes les devises, tous les instruments. Nous reprenons la dette. Je signe régulièrement des virements de cinq milliards d’euros à l’Agence centrale de Sécurité sociale. Je reprends immédiatement la dette. Nous avons des recettes affectées. Nous sommes au rendez-vous de chaque échéance à l’euro près pour tous les engagements souscrits. Elle se différencie de l’Agence France Trésor (AFT) qui compte une quarantaine de personnes, à la fois organisme de financement de l’État et gère sa dette. Elle se distingue de la Cades par trois différences. Primo, elle n’amortit pas, elle fait de la cavalerie permanente. On fait rouler la dette. Un emprunt est remboursé par un autre. Autre différence, la Cades syndique ses opérations. Pour chaque opération nous désignons quatre établissements bancaires, deux banques françaises, deux banques internationales à qui l’on confie l’opération sous la supervision de nos équipes. Cela se déroule dans la journée. Cela s’appelle la syndication. Mes agents ne sont pas face aux investisseurs. En revanche, l’AFT fait de l’adjudication en direct. Troisième différence, l’AFT est enfermée dans le marché de l’euro. La Cades emprunte où elle veut. Nous sommes présents sur le marché du dollar et sur la livre sterling, c’est la moitié de notre activité. Nous avons également des placements privés négociés de gré à gré, au-delà des procédures de syndication, avec les monnaies chinoises, japonaises. On recherche ce qu'il y a de mieux sur le marché. Nous disposons d’une liberté que ne peut avoir l’AFT. Par construction l’État ne peut emprunter en dehors de l’euro.
La Cades, sphinx de la pandémie
La pandémie a transformé la Cades. Nous sommes confrontés depuis le printemps 2020 à une prolongation inattendue de la vie de la Cades. Nous avons mis en œuvre la loi organique d’août 2020 qui a décidé de la reprise de 136 milliards de dettes supplémentaires. En février 2020, avant le premier confinement, la trajectoire était claire. La Cades allait fermer. Au 1er octobre 2024, la CRDS cessait d’être prélevée. À la fin 2025 nous allions rembourser les derniers emprunts. Et la Cades serait dissoute et disparaîtrait du paysage. Tout cela était réfléchi et anticipé avec par exemple des précautions prises vis-à-vis de mon équipe qui aurait été mise à la disposition de l’AFT. Nous étions certains qu’au regard de l’évolution des mécanismes de maîtrise des dépenses, 2020 devait connaître pour la première fois un excédent. La disparition du Cades dans le paysage allait être un très puissant incitateur pour la pouvoir afin qu’il maîtrise les comptes de la Sécurité sociale. On imagine mal un gouvernement aller devant le parlement, voire devant le Conseil constitutionnel demander le renouvellement d’une caisse d’amortissement. Le Conseil constitutionnel par décisions successives a imposé un certain nombre de verrous. Et a dit : « Cela suffit, on ne peut prolonger indéfiniment la dette. » La pandémie a bousculé profondément cette orthodoxie. Un débat avait commencé avant mars 2020 sur le devenir de la CRDS. Allait-elle être utilisée pour financer la dépendance ? Ou l’utiliser pour détruire la dette de l’État ? Qu’allait-on faire des 7 milliards de la CRDS, des 8 milliards de la CSG (0,6 %) ?
Panique de l'Etat pour verser les retraites
Début avril se produit un évènement inouï, sans précédent (confinement). L’Acoss aujourd’hui, Ursaff caisse nationale, est chargée de financer la trésorerie du régime général tous les ans dans les limites que lui fixe la LFSS. Elle va sur le marché à court terme des capitaux, ne peut emprunter au-delà d’un an et emprunte des sommes considérables pour le régime. Il y a deux raisons pour expliquer ce recours à l’emprunt. Il y a en effet un décalage entre les versements, les pensions versées à jour fixe qui ne coïncident pas avec les rentrées assurées par les entreprises. Au lieu des milliards demandés, le marché lui offre quelques centaines de millions d’euros seulement. Inutile de dire la panique qui s’empare de l’État alors que 16 millions de retraités attendent leurs pensions ? Le marché financier est tétanisé, déboussolé par cette double crise sanitaire et économique. Cela a duré au moins 8 jours. Comment faire ? On allait demander à la Caisse des dépôts et consignations de prendre le relais. Il y a eu des solutions à court terme pour résoudre le problème y compris à la Cades. C’est de là qu’est venue l’idée de reprendre une importante dette par la Cades, roue de secours ultime. S’est engagé un processus de réendettement de la Cades. Cela s’est fait dans des conditions, on peut le dire, peu démocratiques. Les esprits, il est vrai, étaient ailleurs. Les questions se sont posées une fois que la décision a été prise. Quelle était la bonne décision ? Fallait-il reprendre cette dette ? ou une partie des recettes de la Cades afin que les déficits des régimes soient moins importants ? Fallait-il donner les montants de la CSG directement à la Cnam afin de faire face à ses dépenses ? On pouvait aussi considérer de donner un statut particulier à la dette Covid, la faire rouler comme une dette de l'État comme on fait rouler les 20 000 milliards de dettes de l’Etat parce que c’était un choc exogène.
136 milliards de dettes reprises
L’assurance maladie n’a aucune responsabilité dans cette crise. Ces options n’ont pas été discutées. Ce débat essentiel n’est pas évoqué lors de la campagne présidentielle. Ce sujet devrait rebondir cet automne surtout en cas de réforme des retraites. La loi paraît au Journal officiel le 7 août qui comprend deux décisions. La première inclut 136 milliards de dettes ; deuxième décision, on allonge la durée de vie de la Cades au lieu de 2024, sa disparition est programmée en 2033 ( ?°). Pour ses dettes, il y a eu de la nouveauté. On a repris 31 milliards de déficit cumulés qui étaient dans les circuits de l’Acoss, et c’est là la grande nouveauté, des dettes hôpitaux soit un tiers, 13 milliards. Le capital et les intérêts représentant 39 milliards, l’objectif était de rétablir les capacités d’investissements de l’hôpital. On savait que le choc de la crise allait porter fondamentalement sur les hôpitaux. Il fallait d’entrée de jeu dégager des moyens pour les désasphixier. Le Conseil d’État n’a rien eu à dire pour une raison simple, l’hôpital est financé par la Sécurité sociale. Le lien permet à la Cades d’intervenir. On a ensuite mis en place une enveloppe au doigt mouillé pour prendre en charge les déficits générés par la pandémie. Une période de quatre ans a été retenue (2020 à 2023) et forfaitairement on va y mettre 92 milliards. On ne sait pas comment on est arrivé à ce chiffre.
Reprise de notoriété de la Cades
La Cades change alors d’échelle. Elle était avant en fin de vie et désertait les marchés par segment et n‘empruntait plus à long terme. Dans le moyen terme elle se limitait à quelques opérations. Et se limitait surtout au court terme. II est important de savoir que lorsque l’on est présent sur les marchés financiers, la notoriété est un enjeu essentiel. Il est important de se faire connaître comme emprunteur. Tout le travail de mon prédécesseur avait été de parcourir la planète et de rencontrer les potentiels investisseurs et de leur vendre la Cades comme une marque. Cela a été réussi. La Cades, c’était une certitude absolue d’être remboursé. On avait commencé à disparaître avant la crise ; il est très dangereux pour un acteur de disparaître puis de revenir. Heureusement que la crise est survenue au printemps 2020. Si elle s’était produite en 2024, on aurait eu des difficultés pour réamorcer le processus d’emprunt. Ce qui a entraîné des taux d’intérêt moins intéressants que ceux obtenus sur le marché. Notre opération en mai 2020 nous a permis d’être rassurés. Le livre d’or où s’inscrivent les investisseurs pour obtenir une part du prêt de l’émission a été conséquent. Mais comment faire sur un marché où le nombre d’emprunteurs allait exploser avec une concurrence qui devait s’intensifier. Pour donner un plus à l’émission Cades, on a mis en place un programme d’émission sociale avec des green bonds. Il s’est trouvé que dans le cadre de l’association internationale des marchés financiers, un cadre a été mis au point pour les émissions sociales. Les règles avaient été mises à jour en juin 2020. On s’est inscrit dans cette démarche afin d’émettre des émissions sociales dès le mois de septembre. La Commission européenne pour sa première apparition sur le marché avait choisi de faire une émission sociale. Les trois premiers organismes à le faire ont été la Cades, l’Unedic et la Commission européenne. L’objectif est de sécuriser l’investisseur avec un produit atypique. Et d’élargir puis de fidéliser les investisseurs.
136 + 100 milliards de reprise de dettes
Quant aux opérations de reprise de dettes, nous avions au départ 136 milliards. Aujourd’hui on a engagé juridiquement un processus pour 100 milliards, soit 20 milliards plus 40 milliards pour 2021 plus 40 milliards pour 2022. 75 milliards sont réalisés. Manquent 5 signatures jusqu’à la fin de l’année pour atteindre les 100 milliards. Un décret publié en janvier 2023 engagera le processus de 36 milliards suivants. 40 milliards pour nous, c’est très lourd, très important. Avant on se limitait à 3-4 milliards. Pour donner un ordre de grandeur, le Trésor qui finance à la fois la trésorerie et le roulement de la dette État emprunte 260 milliards. Quand on est émetteur, on est noté par des agences de notation. Nous en avons pris 3. Depuis le mois de septembre 2020, nous sommes rentrés dans une nouvelle vie. Nous avons réalisé 18 émissions dont 9 en euros, 8 en dollars, une en Livre sterling. On a fait des emprunts à 3, 5, 7, 8 et 10 ans.
Une vague d'investisseurs demandeurs
La surprise a été totale en septembre 2020. On a été parmi les premiers émetteurs en septembre. On a eu 250 investisseurs (banques internationales, assurances, grands fonds non spéculatifs) et des investisseurs qui ne s’étaient jamais manifestés sont venus. Cela a été très difficile de satisfaire tout le monde, il y avait une très forte appétence pour nos titres. Depuis mai 2015, le marché mondial des capitaux est entré dans des taux d’intérêt négatifs, d’abord dans le court terme ensuite à moyen et long terme. En soi, c’est une aberration. Il y a un excès de demande par rapport à l’offre. Surtout, les grands acteurs des capitaux ont des obligations d’avoir dans leur portefeuille un pourcentage de titres sécurisés. Au premier semestre 2020, on a fait en moyenne des emprunts à – 0,30 %. Toute l’année 2021 on était à - 0,27 %. Changement d’orientation début 2022, on est à +0,5 ou 0,6 % avec donc une remontée des taux. Nous sommes très loin des taux observés en 2008 qui étaient de 4,5 % pour 1 an. On déboursait alors 800 millions d’intérêts pour rembourser les prêts de l’Acos. Donc les efforts de maîtrise de dépense de santé étaient largement détruits par le paiement des intérêts. Pour autant aujourd’hui un prêt à 0,6 % n’est pas grand-chose avec l’inflation. La charge d’intérêt a nettement baissé au fil du temps. En 2019, on versait 2 milliards d’intérêts. En 2020, 1,5 milliard. En 2021, 1,2 milliards. Cette année, on estime cette somme à 850 millions d’intérêts.
Recettes de la Cades : CRDS + CSG
En ce qui concerne nos ressources, 0,5 % de CRDS, 0,6 % de CSG, et un versement annuel de 2,1 milliards du fonds de réserve sur les retraites. La crise a secoué nos recettes. Nous avons perdu en 2020 1,3 milliard, en 2021, 600 millions. En gros la crise sanitaire nous a fait perdre 2 milliards de recettes. Pour autant, nous avons fait face à nos engagements. Tous les ans, un objectif d’amortissement est fixé par la LFSS ; les recettes moins les charges d’intérêt, c’est la capacité d’amortissement. Nous avons amorti en 2019 16,3 milliards de dette. En 2020, 16,1 milliards, en 2021 17,8 milliards grâce à l’effondrement des charges d’intérêt. Depuis la création de la Cades, nous avons repris 335 milliards d’euros, on a amorti 208 milliards. Il nous reste 127 milliards à amortir. Et 51 milliards à prendre.
Une séquence de déficits qui va durer
Quel est l’avenir ? Rappelons l’enveloppe de 92 milliards. Les déficits des branches de la Sécurité sociale éligible à la reprise des dettes s’élèvent à 65 milliards. Ce qui reste est censé prendre en charge le déficit 2022 et 2023. Or on nous annonce -22 milliards pour 2022 et -18 milliards pour 2023. Il y a donc un hiatus entre le montant de l’enveloppe allouée et les déficits à venir. Cela aurait été jouable en l’absence de crise ukrainienne. Ce qui est inquiétant, c’est que nous sommes entrés dans une séquence de déficits qui va durer. Le sujet numéro 1, c’est l’assurance-maladie avec des déficits colossaux, et non pas les retraites. Les niveaux de dépense ont été déstabilisés par la pandémie. On a massivement injecté de l’argent pour l’hôpital avec le Ségur de la santé. Il faudra retrouver un équilibre, des mécanismes de maîtrise. Il faut mettre sur les rails une trajectoire qui permette à l’assurance-maladie de sortir des déficits. On ne peut pas vivre avec des déficits de l’assurance maladie sans commune mesure avec les retraites. C’est là toutes les limites du débat public. Les vrais sujets ne sont pas abordés. Cela tétanise tout le monde.
La Cades a un gros avenir. Quand on m’a recruté, on m’a dit il faut que tu enterres la Cades. En fait c’est la Cades qui va m’enterrer.
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