"Effacer les personnes pour ne conserver qu'un emblème" (DR)
LE QUOTIDIEN - Pourquoi décidez-vous d'unir les services sociaux du SAMU social de Paris et ceux de la Croix-Rouge française ?
Pr Marc GENTILINI - Il y a, d'un côté, l'important SAMU social de Paris et la multitude des SAMU sociaux en province dont la Croix-Rouge gère la majorité (42 sur 58). Xavier Emmanuelli, fondateur du SAMU social de Paris, a eu l'idée de fédérer ces initiatives, afin de lutter plus efficacement à l'échelon national contre l'exclusion et la précarité.
L'action du SAMU social de Paris, dans ce domaine, est plus connue que celle de la Croix-Rouge.
Dans d'autres domaines aussi, l'action de la Croix-Rouge est mal connue. Comme beaucoup d'organisations, par exemple, elle distribue des repas. D'ailleurs, elle fait cela régulièrement, contrairement à d'autres structures dont l'action est sporadique. Or, de quelle organisation parle-t-on le plus ? Pourquoi ? On ne s'attable pas plus aux Restos du Cur qu'au Secours populaire, au Secours catholique, à la Croix-Rouge, ou à l'Armée du salut. Mon rêve serait d'ouvrir un restaurant dans lequel on servirait un vrai repas. Il y aurait la convivialité d'une distribution, assis et à table. Je pense que, dans le cadre du SAMU social, il serait utile d'affiner la démarche sociale. Nous devons nous livrer à une étude critique des besoins réels. Peut-être faut-il aussi accepter un certain niveau de contrainte à l'égard des individus. Laisser à chacun le libre choix est une façon de le pousser à la dégradation. Quelqu'un qui est dans le désespoir ne se respecte plus. Nous souhaitons élaborer une charte des SAMU sociaux, pour qu'ils adoptent les mêmes méthodes rigoureuses de travail.
Les modérateurs urbains
Lorsque vous avez été élu à la présidence de la Croix-Rouge en 1997, vous avez souhaité que l'organisation s'engage plus avant dans « les problèmes de notre temps ». Avez-vous le sentiment d'avoir uvré suffisamment en ce sens ?
Je me suis posé cette question lors du renouvellement de mon mandat. J'ai estimé que cela valait la peine de rester pour continuer à uvrer dans ce sens. Nous avons beaucoup développé ce qui existait dans le cadre des SAMU sociaux. Mais nous avons pris d'autres initiatives : la création des modérateurs urbains par exemple. Ce sont des jeunes, issus des quartiers sensibles, formés à une pratique opérationnelle de secouriste et remis à la disposition des structures Croix-Rouge dans ces quartiers difficiles. C'est une innovation importante. Dans ces zones, le rôle de la Croix-Rouge ne peut se résumer à un vestiaire ou une banque alimentaire. Actualisons, sur le champ social, le slogan développé au soir de la bataille de Solférino : "Tutti fratelli", "Tous frères".
Avant tout, atteindre la victime
Au-delà de nos frontières, l'action humanitaire de la Croix-Rouge a-t-elle gagné du champ ?
Et comment ! L'engagement international de la Croix-Rouge française, qui était en train de s'étioler, a été relancé en 1997. Nous avons recréé une direction des Opérations internationales, établi une stratégie thématique et géographique claire, et retrouvé le chemin du guichet des bailleurs de fonds. Nous avons sollicité l'Union européenne, le ministère de la Coopération et d'autres qui avaient des interventions à conduire, mais pas les gens pour le faire. Aujourd'hui, le département international est important. Mais la Croix-Rouge ne recherche pas particulièrement les opérations médiatiques. Il lui importe avant tout d'atteindre la victime. Ce qui suppose, parfois, que l'on se taise sur certaines situations. D'autres organisations humanitaires préfèrent dénoncer une situation de détresse, au risque de se priver d'atteindre l'objectif. C'est leur stratégie.
On serait tenté de dire : « A chacun sa méthode ».
Nous aurions intérêt à nous rassembler et à réfléchir sur la méthodologie moderne de l'action humanitaire, hors de nos frontières. Le monde change. Il n'y a plus de guerres, mais des guérillas. Il n'y a plus de chefs de guerre, mais des chefs de bande qui font la loi. Il faut inventer de nouvelles stratégies. Le schisme de 1970 avec la création de Médecins sans Frontières (MSF), puis celui de 1979 avec l'émergence de Médecins du Monde (MDM) devrait nous inciter, Croix-Rouge, Médecins du Monde et Médecins sans Frontières (deux organisations dont les leaders sont issus de la Croix-Rouge), à nous regrouper. D'autres organisations comme Action contre le faim ou Handicap international pourraient nous rejoindre avec leur spécificité pour former une « task force » plus cohérente et, partant, plus efficace. Nous devrions nous interroger pour savoir si les raisons qui ont conduit à la création de Médecins sans Frontières existent encore. Un remembrement du mouvement humanitaire ne lui donnerait-il pas plus de force pour atteindre ce que nous clamons être notre objectif commun, à savoir le soulagement, la protection des populations en situation de grande détresse ? Mais, voulons-nous vraiment (NDLR - Les organisations humanitaires) atteindre cet objectif ou n'y a-t-il pas une recherche forcenée de l'image de marque des uns et des autres ? N'y a-t-il pas une personnification excessive dans la démarche humanitaire ? Ne faut-il pas effacer les personnes pour ne conserver qu'un emblème ?
Une force de frappe de l'humanitaire
Vous pensez donc que la réponse humanitaire est aujourd'hui inadaptée aux besoins ?
C'est évident. Je disais récemment avec un peu de provocation que Médecins du Monde et Médecins sans Frontières devraient être la branche médicale de la Croix-Rouge réunifiée. J'en parle d'autant plus aisément que, dans quelques années, je ne serai plus rien. Mon seul objectif est d'essayer d'obtenir une force de frappe de l'humanitaire, renforcée par un remembrement des organisations et un rassemblement de ses acteurs.
Quels sont vos autres projets pour les trois ans à venir ?
Entre autres, déménager le siège de la Croix-Rouge de l'avenue Georges-V et de la rue de Berri, dans le 8e, pour l'ancien hôpital Broussais. Notre quartier et nos locaux ne sont pas à l'image de la Croix-Rouge. La vente de ces immeubles permettra d'acquérir un site fonctionnel, de mener des opérations pour lesquelles nous manquons d'argent et de régler définitivement les difficultés de quelques établissements. Nous allons donc fermer le centre logistique de Saint-Ouen-l'Aumône, regrouper toutes les écoles d'infirmières de Paris et créer un pôle pédagogique actif dans l'ancien pavillon Leriche (il faudra d'ailleurs le rebaptiser : quitter l'avenue Georges-V pour aller chez Leriche n'a pas la résonance que je souhaite !). Ce déménagement est un projet qui dérange, qui nous rendra plus opérationnel et permettra peut-être le rapprochement avec d'autres organisations. Je le souhaite ardemment. Et puis Broussais-La Charité, dans le pavillon du Cur ; c'est tout un symbole !
Les SAMU sociaux se fédèrent
La Fédération nationale des SAMU sociaux, que le Dr Xavier Emmanuelli, fondateur et président du SAMU social de Paris, et le Pr Marc Gentilini, président de la Croix-Rouge française, lancent aujourd'hui, a pour objet de « fédérer, représenter et assister l'ensemble des actions, services, associations et organisations réalisant, habituellement, et selon des modalités variables sur le territoire français, une prestation de SAMU social ».
Selon une étude réalisée en 2000 par le SAMU social de Paris, il existe en France 58 SAMU sociaux dont 42 assurés dans le cadre de délégations territoriales de la Croix-Rouge française. Tous rendent le service inhérent à la mission de SAMU social qui est d' « aller à la rencontre des personnes en détresse sociale pour leur proposer une aide d'urgence ».
Cette aide peut être morale, sociale (information, orientation), corporelle (soins de première nécessité) ou matérielle (transport vers des structures sanitaires ou sociales, distribution de produits alimentaires ou vestimentaires).
La Fédération entend « assurer des échanges entre SAMU sociaux, élaborer des programmes de formation et d'information mutuels, aider à la réalisation de missions et de projets nationaux de SAMU social, mettre en place et promouvoir des opérations communes ».
Les SAMU sociaux couvrent 40 départements en France et leurs dispositifs mobiles fonctionnent à l'année pour 25 d'entre eux, de manière saisonnière pour 33 d'entre eux. Par ailleurs, 20 SAMU sociaux assurent une permanence d'écoute téléphonique dont 11 gèrent le 115 dans leur département et 23 services gèrent une structure d'accueil (hébergement médicalisé, hébergement simple). Onze SAMU sociaux ont un budget de fonctionnement supérieur ou égal à un million de francs et 14 ont un budget inférieur ou égal à 10 000 francs, la plupart des autres se situant entre ces deux extrêmes.
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