Exercice

Le pharmacien : partenaire ou concurrent ?

Publié le 29/03/2013
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D’ici à quelques semaines, les pharmaciens devront mettre en place les premiers « entretiens pharmaceutiques » pour suivre les patients sous AVK. Un nouveau rôle de conseil et de prévention qui consacre la place croissante prise ces derniers mois par l’officinal. La rémunération supplémentaire dont ils bénéficient fait des jaloux côté médecins. Et certains s’inquiètent de voir la relation médecin-pharmacien évoluer au bénéfice des seconds.

Suivi des AVK et de l’asthme, renouvellement de certaines prescriptions, nouveau rôle de prévention et de conseil, surveillance sourcilleuse de la délivrance de génériques… Ces dernières années, le pharmacien a pris une place croissante dans le système de soins. Au point parfois d’irriter certains médecins. Un début de dynamique qui remonte à la loi Bachelot avant de se concrétiser dans la dernière convention que cette profession a passé en 2012 avec la CNAMTS. Les nouvelles missions de prévention et de conseil dévolues aux officines redéfinissent le rôle et la place du pharmacien dans le système de santé ainsi que dans ses relations avec les autres professionnels de santé, mais surtout, au premier chef, avec les médecins. Ces changements peuvent-ils remettre en cause les relations médecins/pharmaciens ? L’équilibre entre les deux professions, qui a longtemps penché en faveur des premiers, serait-il en train de passer au bénéfice des seconds ? Certains, mais pas tout le monde, auraient tendance à le penser.

Polémique sur le « NS » et tracasseries sur les « C3G »

Au début de l’été, deux petites lettres ont bien failli mettre le feu aux poudres : « NS ». On se souvient que les pharmaciens s’étaient engagés avec l’Assurance Maladie à ne plus tenir compte de la mention si celle-ci n’était pas manuscrite et le « non substituable » écrit en toutes lettres. L’affaire était perçue par bien des praticiens comme un droit de veto inédit du pharmacien sur l’ordonnance du médecin. Et on sait qu’à défaut de jouer ce rôle de gendarme, le pharmacien risque d’ailleurs d’être sanctionné. Ce fut presque le cas d’une pharmacienne des Deux-Sèvres, menacée de déconventionnement par sa caisse pour avoir enregistré un taux de substitution trop faible. Elle avait alors expliqué son faible score par un grand nombre de médecins abusant de la mention « NS ». Mais pour la caisse, ce n’était pas une excuse valable…

À l’époque, syndicats de médecins et de pharmaciens s’étaient emparés de l’histoire. MG France et l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) s’étaient même fendus d’un communiqué commun contre le durcissement de la politique de la Sécu. En quelques mois, l’affaire semble être retombée comme un soufflet. Mais pour combien de temps ? « La mention "NS" n’est plus vraiment un sujet qui émerge sur le terrain de la même façon qu’il y a plusieurs mois. Mais nous restons agacés par certains spécialistes qui insistent dans leur prescription pour délivrer un princeps », explique aujourd’hui le président de MG France, Claude Leicher.

Si, sur le terrain, les choses semblent s’être calmées, les tensions pourraient néanmoins une nouvelle fois reprendre… attisées cette fois-ci par les recos de l’ANSM sur la prescription des pilules de troisième et quatrième générations. Là encore, les pharmaciens auront le droit de ne pas respecter le choix du prescripteur si ce dernier ne précise pas les nouvelles indications demandées par l’agence : le médecin a bien interrogé sa patiente sur ses antécédents personnels et familiaux et l’a informé sur les risques éventuels. « Sur les pilules, si mention il y a, nous souhaitons pouvoir le faire avec l’ordinateur, autrement nous n’accepterons pas de le faire », prévient déjà le chef de file du syndicat de généralistes.

Les habits neufs du « pharmacien correspondant »

De façon plus discrète, le pharmacien est aussi devenu, depuis la réforme « HPST », « référent » en EHPAD et « correspondant » en ville. Un statut encore neuf qui permet, en réalité, de solidifier le rôle de ce professionnel de santé dans l’accompagnement et le suivi des malades chroniques. Désigné par le patient, le « pharmacien correspondant » peut renouveler périodiquement l’ordonnance portant sur un traitement chronique et modifier sa posologie le cas échéant. Il le fait, en amont, avec l’accord du médecin et, en aval, en ayant l’obligation de l’informer de ce qu’il fait. Ce qui fait dire à Michel Chassang, que l’instauration de ce statut « n’a rien changé ». « Les pharmaciens peuvent renouveler des ordonnances pour avancer certains médicaments au patient, c’est tout », insiste celui qui est à la fois chef de file de la CMSF et président du CNPS (Centre National des Professions de Santé).

Le renforcement du rôle de prévention, de dépistage et de conseil du pharmacien initialement inscrit dans l’article 38 de la loi HPST s’est également traduit dans l’esprit de la nouvelle Convention signée en avril dernier s’accompagnant de profonds changements économiques. Face aux difficultés rencontrées avec la baisse du prix du médicament, la profession s’est battue pour que sa rémunération évolue. La semaine dernière, les syndicats officinaux ont encore repris le chemin de la CNAMTS pour en discuter. Le nouveau modèle économique permettra aux pharmaciens d’être moins dépendants de la vente de médicaments qui assure aujourd’hui 80 % de leur chiffre d’affaires, mais assoit leur rôle de conseil. D’ici à 2017, un quart de leur rémunération devrait provenir de leurs honoraires. Courant 2013, une part d’honoraires de dispensation sera progressivement introduite. Un paiement à la performance sur le même principe que celui des médecins est également prévu en contrepartie de la réalisation d’objectifs individuels de substitution. Et dès maintenant, un nouveau forfait de 40 euros par an et par patient pourra être versé pour l’accompagnement de patients sous anticoagulants (AVK). Un deuxième forfait pour le suivi des asthmatiques devrait également voir le jour à compter du 1er juillet 2013 : l’« entretien pharmaceutique » est né.

À quoi serviront les « entretiens pharmaceutiques » ?

L’annonce de la création de ce nouveau concept l’été dernier a fait quelques vagues chez les médecins. Question de sous et de territoire. Il est vrai que le terme a une forte consonance de consultation. Peu de temps après la signature de la Convention pharmaceutique, un groupe de travail entre médecins et pharmaciens a d’ailleurs été mis en place « chargé d’arrêter les modalités d’un accompagnement adapté, de déterminer le contenu et les voies de la communication pharmaciens/médecins, débouchant ainsi sur une charte de bonnes pratiques entre les deux professions ».

Après cette clarification, les médecins doivent-ils encore se méfier des nouvelles prérogatives de conseil accordées au pharmacien ? Pour le chef de file de la Conf’, « il y a eu un amalgame entre consultation et entretien pharmaceutique ». « Intéressant », selon lui, l’entretien est sensé favoriser l’accompagnement et l’adhésion du patient à son traitement, mais aussi « déceler les effets indésirables et en informer le médecin ».

Forfait pour qui ?

Ce qui est « regrettable », continue-t-il, « c’est d’avoir instauré un forfait de 40 euros alors que le médecin perçoit un forfait de 40 euros annuel par patient en ALD. C’est une erreur de communication. Ces entretiens ont un but différent de la consultation mais ont une rémunération identique ». Véritable « challenge » pour la profession, ces entretiens pharmaceutiques « ne vont pas changer la relation médecin-pharmacien mais la manière dont le patient est pris en charge », plaide dans le même sens le président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Gaertner. « L’objectif est de se donner les moyens de mieux encadrer le patient, de lui réexpliquer son traitement et l’importance régulière d’examens biologiques ».

Si, du côté des médecins, on ne remet pas en cause la rémunération attribuée au pharmacien, on dénonce en revanche la méthode. « Avant de donner une rémunération pour les entretiens pharmaceutiques, il faudrait d’abord définir leur place dans le système de santé », intervient le Dr Claude Bronner d’Union Généraliste. Au SML, le nouveau rôle du pharmacien est une « bonne chose » qui doit « fluidifier le parcours du malade » mais qui ne doit pas se faire « de façon occulte ». Plus critique, Jean-Paul Hamon, président de la FMF, estime que les « pharmaciens doivent rester dans un rôle de sécurité sanitaire et de vérification des ordonnances », il ne faut « surtout pas essayer de leur faire changer de métier et de leur attribuer un rôle pour lequel ils n’ont pas été formés ».

Mais derrière ces inquiétudes, si tous attestent de la place importante que joue en soins primaires le pharmacien dans le trio formé avec le médecin et l’infirmier, c’est surtout un défi qui leur est posé : celui de faire face au grand chantier de demain sur lequel beaucoup comptent pour moderniser l’offre de soins et la coopération interprofessionnelle.

« Quelles relations entretenez-vous avec les pharmaciens ? »

Dossier réalisé par Caroline Laires-Tavares, caroline.laires-tavares@legeneraliste.fr

Source : Le Généraliste: 2638