La délégation de tâches fait polémique

Le droit de vacciner accordé aux pharmaciens hérisse les médecins et trouble les officinaux

Publié le 06/11/2014
Article réservé aux abonnés
1415240306560728_IMG_140505_HR.jpg

1415240306560728_IMG_140505_HR.jpg
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Le court article 32 du projet de loi de santé de Marisol Touraine fait des vagues. Il prévoit d’autoriser les pharmaciens à effectuer eux-mêmes des vaccins et renvoie à un décret les modalités pratiques de cette mesure (titres requis, conditions techniques, retour d’informations au médecin traitant...). La liste des vaccins que ces professionnels seront autorisés à administrer sera déterminée par arrêté ministériel.

Il y a quelques jours, Marisol Touraine s’est à nouveau défendue de vouloir enlever une prérogative aux médecins, « puisque les Français ne vont pas se faire vacciner ». « Chez les plus de 65 ans, il n’y a qu’un Français sur deux qui se vaccine contre la grippe », précise-t-elle. Un des objectifs est justement de faciliter l’accès de la population à la vaccination « en proximité ».

Les uns contre les autres

En début de semaine, le rapport du député PS Richard Ferrand sur la réforme des professions réglementées, a conforté la volonté ministérielle. Il préconise d’autoriser les pharmaciens à vacciner, mais sur « prescription médicale ».

Avec ou sans prescription, le sujet exaspère les médecins, qui y voient une forme de dépossession décidée unilatéralement. « Ce projet fait monter d’un cran l’exaspération des généralistes et alimente la vague de fond qui va faire fermer les cabinets », assure le Dr Luc Duquesnel, patron de l’UNOF, branche généraliste de la CSMF. Il rappelle que son syndicat milite pour une consultation de prévention qui inclurait la vaccination. Mais selon lui, le gouvernement préfère « monter les professionnels les uns contre les autres ».

À MG France, le Dr Claude Leicher va plus loin. « La majorité des pharmaciens ne sait pas faire d’injections, croit-il savoir, si bien qu’il y a des risques de complications ». Le patron du syndicat de généralistes, attaché au rôle pivot du médecin traitant, redoute surtout le manque de suivi de ces vaccinations. Pour lui, l’hostilité médicale au projet est une affaire « de cohérence sanitaire, sûrement pas de gros sous ». Lui aussi pense que cette disposition « induira des comportements agressifs entre médecins et pharmaciens ».

Locaux certifiés ?

Le risque d’affrontement professionnel incite l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) à s’opposer à cet élargissement des compétences. « Le retard de vaccination est un vrai sujet, note son président, Gilles Bonnefond, mais la mesure proposée fait polémique ». Soucieux de calmer le jeu, il souligne qu’« on a besoin de tout le monde pour sensibiliser à la vaccination, un sujet qui divise n’est donc pas d’actualité ». Même tonalité critique à l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). Son président Michel Caillaud estime que « la vaccination n’est pas la priorité ». Pour lui, le projet pose plusieurs problèmes, dont « la mise à disposition de locaux certifiés, la formation du personnel, la responsabilité engagée et les relations interprofessionnelles difficiles à gérer ».

Seule la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) se prononce clairement en faveur du projet. Son président Gilles Gaertner fait valoir qu’aux États-Unis, où les pharmaciens vaccinent contre la grippe depuis bientôt dix ans, le taux de couverture chez les plus de 65 ans est passé de 59 % à 76 %. « Cette disposition permet de toucher ceux qui ne vont jamais chez le médecin », assure-t-il. Il ne serait pas question à ses yeux de s’occuper de la vaccination de la petite enfance jusqu’à l’adolescence, qui resterait l’apanage des pédiatres et des généralistes.

Henri de Saint Roman

Source : Le Quotidien du Médecin: 9363