LE QUOTIDIEN - Combien de temps allez-vous séjourner à bord de l'ISS ?
Claudie ANDRE-DESHAYS - J'effectue ce que l'on appelle un vol de relève, d'une durée de dix jours, dont huit à bord de l'ISS.
Comment va s'effectuer votre entraînement à la Cité des étoiles ?
J'arrive ce lundi à la Cité des étoiles. J'effectuerai peut-être un ou deux retours à Toulouse avant mon départ pour l'ISS, de manière à procéder à des vérifications sur les expériences programmées à bord. Cette Cité des étoiles, c'est ma deuxième famille ! J'y suis arrivée pour la première fois en 1992, pour mon premier entraînement. J'étais alors la doublure de Jean-Pierre Haigneré et j'y ai séjourné toute l'année 1993. J'y suis retournée en 1995 et 1996, dans le cadre de ma première mission, Cassiopée. Et, en troisième lieu, en 1998 et 1999, j'ai rejoint à nouveau la Cité des étoiles, comme doublure de Jean-Pierre Haigneré, pour sa mission Perseus. Au total, j'ai déjà passé près de six années dans ce centre.
En quoi cette mission diffère-t-elle pour vous des précédentes ?
La grande différence, c'est que je vais voler à la place gauche du vaisseau Soyouz, celle de l'ingénieur-système de vol, le commandant siégeant au centre et le cosmonaute expérimentateur, chargé de la réalisation du programme scientifique, étant installé sur la place de droite, que j'occupais pendant le vol Cassiopée.
La responsabilité de l'amarrage
On peut considérer que vous avez « pris du galon » dans la hiérarchie des cosmonautes ?
C'est une qualification supplémentaire. J'avais déjà été entraînée à cette fonction, Jean-Pierre Haigneré ayant volé en place de gauche dans le cadre de la mission Perséus. Cette fois-ci, j'exercerai, de surcroît, la responsabilité de l'amarrage. En principe, tout devrait bien se passer en nominal, avec les systèmes automatiques. Mais une reprise manuelle peut être nécessaire selon les circonstances, auquel cas j'effectuerai un « tandem uni » avec le commandant. C'est un rôle important. Au retour, je serai également en place de gauche et j'effectuerai donc une mission d'ingénieur-système Soyouz complète.
Pour l'amarrage, je vais travailler sur des simulateurs spécifiques. Pour le reste, il est vrai que je suis déjà assez bien formée. Je dispose aussi d'un avantage supplémentaire, ayant bénéficié pendant les six mois qu'a duré le vol de Jean-Pierre Haigneré, d'une formation spécifique de commandant de bord de vaisseau Soyouz, pour le cas où il aurait fallu expédier un vaisseau de sauvetage vers la station Mir. J'ai donc obtenu une formation de commandant pour ramener le vaisseau sur Terre.
Un suivi médical cardio-vasculaire à bord
En dehors des opérations d'ingénieur de Soyouz, allez-vous effectuer des expériences scientifiques à bord de l'ISS ?
Bien sûr. Mais elles font encore l'objet de discussion. Pour l'instant, le CNES a adressé aux Russes une proposition de programme scientifique. Il faut savoir que lorsque nous arriverons à bord de l'ISS, celle-ci sera en cours d'assemblage et n'offrira pas encore toutes les ressources d'une station complète avec toute sa puissance électrique et les supports vie nécessaires au fonctionnements de laboratoires performants.
Dans le domaine des sciences de la vie, nous avons proposé un équipement de physiologie cardio-vasculaire, dérivé des programmes Physiolab et Cardiolab et qui devrait constituer le préliminaire de l'équipement du suivi médical cardio-vasculaire à bord du segment russe de l'ISS.
Nous allons également embarquer un laboratoire plus léger que le labo Cognilab, qui permettait d'explorer les aspects perceptifs, moteurs et sensorimoteurs et nous utiliserons des manipulations à base de software.
Nous avons encore un programme de biologie du développement. Nous n'emmènerons pas, cette fois, des pleurodèles, car nous ne serons pas en mesure d'embarquer tout le système de support-vie et de ventilation nécessaire à la survie de ces animaux, donc nous travaillerons avec des ufs et des larves.
En physique, nous avons une proposition allemande de physique des placements et une expérience de l'ESA sur la cristallisation de protéines.
Un autre volet de notre travail à bord sera consacré à l'observation de la Terre, pour la météo ou la surveillance de la pollution, car nous nous sommes aperçus que l'homme apportait un plus, par rapport aux satellites automatiques d'observation, avec un regard dirigé immédiatement sur l'endroit que le sol demande de photographier ou d'analyser.
Transfert de connaissances
Quels sujets vous tiennent particulièrement à cur en tant que médecin ? Comme tout médecin et physiologiste, je suis très attentive au fonctionnement et aux adaptations du corps humain. J'en ai une première expérience, acquise lors de ma mission de 1996. C'est important, en tant que médecin, de réaffiner ces aspects-là, notamment en vue d'une meilleure collaboration avec les équipes scientifiques. Par exemple, dans le domaine neurosensoriel, il est utile de discuter avec les équipes au sol sur les perceptions de volume, de hauteur ou de mouvement. En plus de l'aspect opérationnel et ergonomique, il est important de pouvoir discuter de la sensation du corps. C'est pour moi une préoccupation essentielle. Les médecins savent bien que, compte tenu de la plasticité du corps humain, on ne cesse d'être étonné de sa capacité d'adaptation. Les réactions de son propre organisme constituent un irremplaçable et précieux objet d'analyse.
En quoi les médecins terriens, au sol, peuvent-ils être intéressés par votre travail en orbite ?
Dans le domaine des sciences de la vie, c'est vrai que, dans un premier temps, on est allé dans l'espace simplement pour voir. Ensuite, on est passé à un stade d'enthousiasme par rapport à des questions fondamentales sur l'effet d'absence de gravité sur les organismes vivants. On ne pensait pas alors obligatoirement à transférer ces nouvelles connaissances aux cliniciens.
Aujourd'hui, les scientifiques ont pris conscience des enjeux de l'ISS par rapport à la recherche de pointe au sol. Je ne peux pas vous parler précisément des retombées de mon prochain vol sur la médecine spatiale. Mais à l'ESA et au CNES, c'est pour l'année 2001 une de nos priorités que de mettre sur pied un réel transfert, dans les deux sens : sol-bord et bord-sol. Il faut que nous, qui sommes en orbite, puissions apporter quelque chose à ceux qui sont au sol, sans doute pas dans l'immédiat, mais que ce souci fasse partie de nos priorités.
La préoccupation médicale est-elle prioritaire dans l'espace ?
Avec le développement des vols de longue durée, obligatoirement, cette préoccupation, tant dans ses dimensions physiologiques que psychologiques, est devenue très importante. Ce qui nous importe n'est pas le curatif, ni, à proprement parler, la prévention, mais la santé de la personne, son bien-être physique et mental. Cette orientation rejoint l'évolution de la santé publique qui s'attache à faire en sorte que la maladie ne puisse pas apparaître.
Qu'est-ce qui vous paraît le plus difficile dans votre nouvelle mission ?
Toute mission est difficile et je suis consciente de mes responsabilités, mais j'ai l'impression d'arriver en terrain connu et je sais que je bénéficie de la confiance des Russes. Cela dit, quand tout se passe de façon nominale, c'est parfait. Mais il faut s'attendre à faire face à des situations imprévues et avoir des réflexes aiguisés, à tout savoir sur le bout des doigts. Et puis on va avoir à travailler un peu en équilibristes dans une station qui n'est pas encore faite pour les expérimentations scientifiques.
Quels messages souhaitez-vous faire passer dans le grand public grâce à la grande médiatisation dont vous bénéficiez ?
Je voudrais attirer les jeunes vers la science et la technologie en leur disant qu'il reste tant à faire et à construire, tant d'ambitions à réaliser dans ces domaines, qu'ils doivent s'engager à fond.
Témoin privilégié
Comment réagissez-vous au climat d'inquiétude général quant aux bouleversements des climats et au devenir de la planète bleue ?
Ce sont des données auxquelles on est forcément très sensibles en tant qu'astronautes. C'est évident que, depuis l'espace, quand on contemple le petit millimètre d'atmosphère qui protège la planète ronde qu'on a sous les yeux, on se rend compte de la fragilité de la Terre. Dans tous les domaines, nous avons besoin d'une réflexion éthique par rapport aux directions dans lesquelles l'humanité s'engage et engage la planète. Il nous faut énormément de vigilance et un grand sens de nos responsabilités pour que chacun de nos actes soit pleinement réfléchi, dans tous les domaines sanitaires et environnementaux, que ce soit par rapport aux farines animales ou au réchauffement climatique.
Pour ma part, je veux bien accepter d'assumer un rôle, face à ces nouveaux enjeux, non pas d'évangélisateur, mais de témoin privilégié.
Un parcours d'exception
- Naissance le 13 mai 1957 au Creusot (Loire).
- 1981 : doctorat en médecine, CES de biologie et de médecine du sport.
- 1982 : CES de médecine. aéronautique et spatiale.
- 1984 : CES de rhumatologie.
- 1985 : spationaute au CNES.
- De 1989 à 1992 : coordination scientifique de la mission franco-russe Antares pour les expériences des sciences de la vie.
- 1992 : thèse de neurosciences.
- Octobre 1992 : doublure de Jean-Pierre Haigneré pour le vol franco-russe Altaïr.
- Septembre 1993 : coordination du programme scientifique de la mission franco-russe Cassiopée et des expériences françaises Euromir 94. Désignée titulaire du vol Cassiopée, elle rejoint la Cité des Etoiles le 1er janvier 1995 afin d'y suivre un entraînement complet.
- Du 17 août au 2 septembre 1996 : mission Cassiopée à bord de la station spatiale russe Mir.
- Depuis le 1er novembre 1999, membre du corps d'astronautes de l'Agence spatiale européenne (ESA) dans le cadre du programme de la Station spatiale internationale (ISS).
- 18 décembre 2000 : le ministre de la Recherche Roger-Gérard Schwartzenberg annonce qu'elle effectuera la mission taxi 3 de l'ISS, en octobre 2001.
- Aujourd'hui : arrivée à la Cité des Etoiles pour commencer l'entraînement à la nouvelle mission.
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