LE QUOTIDIEN - Contrairement à d'autres intersyndicats de praticiens hospitaliers (PH), vous n'appelez pas à la grève en réaction aux premières propositions des pouvoirs publics pour le passage aux 35 heures des médecins de l'hôpital. Pourquoi cette « modération » ?
Dr FRANCOIS AUBART - Si la modération, c'est exiger la mise en uvre de l'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) avec au moins 17 jours de congé chaque année, quatre jours de travail par semaine et des compensations financières au-delà - notamment pour le travail de garde -, alors oui, nous sommes modérés à la CMH. Modérés et crédibles, car pour que l'ARTT fonctionne, il faut qu'il y ait un déblocage sur la démographie médicale et la démographie des professionnels de santé. C'est pourquoi nous venons de faire la proposition au ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, de réunir dans les plus brefs délais une conférence sur ce thème : un « Ségur de la démographie ». Le règlement de ce dossier passe, bien sûr, par l'augmentation du numerus clausus et du nombre de DES(diplôme d'études spécialisées), mais il passe aussi, probablement, par une redistribution entre les spécialistes privés et les spécialistes publics, et par la redéfinition du rôle du médecin généraliste dans le système.
Quelle forme cette « redistribution » prendrait-elle ?
Le paysage médical français constitue une exception à deux titres : un nombre très élevé de spécialistes exercent en ville ; le fonctionnement des établissements privés, qui est sans équivalent en Europe. Il serait souhaitable que quelque 20 % des spécialistes du secteur libéral reviennent exercer à l'hôpital. Et que, surtout, des modes d'exercice nouveaux, transversaux et souples soient trouvés. L'avantage de cette proposition est triple. Elle est d'abord opérationnelle rapidement. Elle crédibilise ensuite la mise en uvre de l'ARTT. Elle peut être l'occasion, enfin, de réorganiser le système dans l'intérêt des malades. Il faut en discuter avec les syndicats médicaux libéraux et hospitaliers, les agences régionales de l'hospitalisation et la mission de concertation pour la rénovation des soins de ville.
Une occasion à saisir
Avez-vous bon espoir de voir aboutir concrètement les travaux déjà engagés au ministère dans ce domaine de la démographie médicale ?
Deux échéances sont attendues - auxquelles pourrait s'ajouter notre « Ségur de la démographie » -, puisque Bernard Kouchner a semblé convaincu par notre idée. Il y a d'abord un rapport de la direction générale de la Santé (DGS), qui devrait être rendu public à la fin du mois. Suivra le résultat des travaux confiés par Elisabeth Guigou au Pr Guy Nicolas. Tous ces éléments montrent qu'il va y avoir une opportunité - pour ne pas dire une urgence - à réunir maintenant tous les acteurs concernés.
L'attente des praticiens en matière de réduction du temps de travail ne veut-elle pas dire qu'ils voient là le seul moyen d'améliorer leurs conditions d'exercice ?
Non. L'ARTT n'est pas « le seul moyen », c'est juste « la » question d'actualité. Les conditions de travail, c'est d'une part l'amélioration financière et d'autre part la promotion intellectuelle. Pour celle-ci, il s'agit de permettre aux praticiens de prendre du temps, de laisser plus de place à la recherche clinique, la production du savoir et le travail en équipe qui constitue le ciment de l'activité hospitalière.
Des promesses à concrétiser
Le protocole Aubry, signé par les PH en mars 2000, a-t-il changé quelque chose pour les médecins à l'hôpital ?
Ce mois-ci, sur leur fiche de salaire, les PH constatent leur reclassement, lequel succède à la mise en uvre de la prime d'exercice public exclusif. Tout cela est visible. Et même si la morosité et les revendications - légitimes - sur l'ARTT ne s'en trouvent pas gommées pour autant, tous les praticiens reconnaissent aujourd'hui qu'il y a eu un effort financier sans précédent. Reste à concrétiser d'autres promesses du protocole Aubry : la prime multiétablissement (pour les praticiens qui sont amenés à exercer dans plusieurs hôpitaux), la mise en uvre d'une politique tournée vers les postes prioritaires, la réorganisation de la chirurgie, des urgences et de la psychiatrie.
On parle moins qu'avant de restructurations hospitalières. Est-ce parce que ce mouvement se ralentit ou, au contraire, parce qu'il est entré dans les murs ?
Les restructurations sont l'objet des SROS (schémas régionaux d'organisation sanitaire) de deuxième génération. Les réorganisations qu'ils prévoient sont en cours et multiples. Si on en parle un petit peu moins, c'est peut-être parce que les SROS arrivent à la fin de ce que la planification peut réaliser en termes géographiques. C'est d'ailleurs l'un des intérêts de l'ARTT que de permettre de ne plus se focaliser sur la gestion de l'espace et de se pencher sur la gestion du temps et des personnels. En matière de santé publique, on ne peut pas tout planifier. L'évolution des esprits et des pratiques échappe en partie à toute prospective.
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