L'art lumineux de Luchini

I L ne se paye pas de mots. Il cherche. Il ne se contente pas de ses dons : une présence qui s'est aiguisée avec le temps, une virtuosité dans l'humeur, l'humour, le « sentiment » aurait dit Jouvet, une technique précise dans le bien dire, la juste articulation, la respiration imperceptible. Il ne se contente pas du don de soi, chaque jour, sur le plateau étroit et long comme un ruban de ce théâtre-là - la Gaîté-Montparnasse.

Il cherche, oui, et toujours pour mieux partager, pour devenir transparent, pour disparaître, pour qu'entre la langue et le public il n'y ait plus rien. Et pourtant c'est parce que c'est lui, et que c'est lui, complètement investi dans sa présence à ces mots, que « l'Arrivée à New York », les pages américaines du « Voyage au bout de la nuit », de Louis-Ferdinand Céline, ne constitue pas un « spectacle » de plus, mais une expérience rare et neuve.
Le public ne s'y trompe pas qui est là, non dans l'admiration béate de la vedette, ni dans la trouble curiosité de celui qui attend que le dompteur se fasse dévorer, mais dans ce sentiment d'un partage. Pas de cérémonial, rien qui ressemble à une messe, mais cette étrange chose qu'est l'apparition de la phrase, comme un filet lumineux que l'interprète donnerait à voir. Ce n'est pas pour qu'on leur raconte une histoire que les gens viennent écouter-voir Luchini. Et pourtant, il y a de la belle histoire dans ces pages de Céline face à New York, dans les éprouvantes contradictions de la naissance d'une nation. Et chacun écoute, rit, est ému, étonné, attend la suite s'il n'a pas lu ou a oublié ces pages-là du « Voyage ».
Mais la vérité, qui unit chacun ici, est ailleurs. Ce qu'attend le public, c'est le style. C'est la syntaxe et ses audaces, c'est le choc des mots que Luchini littéralement rend visible, les pleins et les déliés d'une encre aussi lumineuse que nocturne.

Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, à partir du 12 janvier. A 20 h, du mardi au samedi et à 16 h le dimanche. Durée : 1 h 15 (01.43.22.16.18).