La maladie s’apprend dans les polycopiés, dans les livres ; les étudiants la découvrent en leur phase d’état dans les hôpitaux. Mais le futur médecin n’en connaît rien tant qu’il n’a pas vécu la première fois, seul. Première fois souvent entachée d’erreurs, qui est l’ouverture sur la connaissance véritable dans sa complexité, à condition de se rendre compte de ses erreurs, mais pas trop tard pour le patient. Car le monde moderne judiciarisé à outrance n’accorde aucune faveur. Et il faut toujours vivre la première fois pour chaque nom de maladie. Et bien souvent la seule fois dans sa vie professionnelle ; le plus souvent en sa période initiale pour le généraliste ; le plus souvent en sa phase évoluée pour le spécialiste. Face au patient, est-ce une maladie banale ? Une urgence vraie ou relative ? Le début d’un processus chronique ? Un problème psychosomatique ? La question se pose à chaque fois ; il faut le temps de la réflexion ; il faut du temps au patient pour qu’il puisse s’exprimer, du temps au médecin pour qu’il puisse observer ; temps qui nous est de plus en plus volé au fil du temps pour faire un autre métier.
Notre monde contemporain se meurt des maladies contemporaines dont les causes sont connues. Hors du champ des médecins, quelques maladies seulement, banales, pourrait-on dire, ruinantes pour les cotisants. La santé publique ne s’intéresse qu’à elles ; uniquement pour en calculer l’évolution des coûts. Les autres ? Rien à cirer, pourrait-elle dire ; pas les patients ; ni les médecins dont c’est la hantise, et qui sont devenus médecins pour ces autres maladies. Qui a débuté médecine avec comme objectif principal de prendre en charge l’obésité ?
Mais comment rencontrer correctement la première fois au cours de consultations standardisées pour les maladies de société ? Comment rencontrer la première fois quand on ne peut plus connaître le lieu de vie des patients, quand on ne perçoit plus leur mode de vie ? Encore moins les interactions familiales !
La quarantaine, elle avait depuis peu des douleurs de la FIG, des lombalgies, un discret syndrome inflammatoire ; mais qu’avait-elle ? Je n’en savais fichtre rien. Alors je l’ai montré à l’entérologue : « c’est pas pour moi » ; à l’urologue : « c’est pas pour moi » ; au rhumatologue : « c’est pas pour moi » ; au gynécologue : « je sais pas, t’as qu’à lui mettre des AB des fois qu’elle fasse une salpingite » ; - « ben voyons ! » L’un des quatre avait tort ; lequel ? Non, ils n’avaient pas tort ! Trop tôt seulement pour les spécialistes ! Si j’avais eu une idée de ce qu’elle pouvait avoir, je l’aurais montrée au spécialiste de cette maladie, il aurait confirmé facilement le diagnostic, mais c’est même pas sûr, le cas se voit régulièrement ! Des cas comme celui-là, nous en voyons combien au cours d’une vie professionnelle ? 1 ? 10 ? 100 ? Plus ? Et à chaque fois, on se retrouve seul ; abandonné, critiqué, avec parfois des situations angoissantes beaucoup plus difficiles à vivre qu’ici ; encore plus pour le patient quand ça se termine mal. Chaque médecin peut raconter son lot d’histoires, toutes différentes sur la forme, mais toutes pareilles sur le fond. Quand les experts interviennent, après coup, quand le diagnostic est fait, tout devient facile, évident. Eux, ils auraient trouvé l’exact juste soin au juste coût, entre le pas assez de la justice et le trop de la SS. Alors, ils peuvent juger sans arrière-pensées. C’était il y a relativement longtemps ; je l’ai donc adressé au CHU du département voisin pour passer une IRM, c’était le début de ce nouvel examen. « Fibrose rétropéritonéale » débutante, avant l’apparition du moindre début d’insuffisance rénale. J’aurais pu la traiter seul mais j’ai préféré la montrer à l’urologue ; qui m’a dit merci. Je ne l’ai plus revu pour ce problème, « médecin traitant », j’étais considéré comme incapable de la prendre en charge ; le monde à l’envers de A à Z ; on a tous connu cela.
On garde le nom de médecin traitant a dit la ministre ; « élément de communication » comme on dit maintenant, pour tromper honteusement les gaulois, chez qui on avait gardé en son temps la date du 25 décembre mais en lui substituant une autre signification, (toujours les mêmes bonnes vieilles recettes) pour faire passer la pilule ; car les généralistes ne sont pas dupes, cette expression ne veut plus rien dire, car les généralistes sont en passe de devenir des gestionnaires robotisés de dossiers médicaux pour les seules maladies de société. Il n’y aura plus de première fois, notre problème sera résolu : merci la ministre ! On confiera la première fois aux robots, pas sûr que les patients soient gagnants, ni la société.
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