La médecine désarmée face aux criminels sexuels

Publié le 03/04/2001
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L E fait d'être un délinquant sexuel ne signifie pas qu'on relève de soins. « La sémiologie n'est pas dans le code pénal », dit au « Quotidien » le Dr Bernard Cordier, chef du service de psychiatrie générale de l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine). « Il faut, au préalable, un diagnostic médical faisant état d'anomalies psycho-sexuelles. Toutes les personnes concernées, qu'il s'agisse des pédophiles, des exhibitionnistes ou des sado-masochistes, ne transgressent pas nécessairement la loi », souligne le psychiatre. Il fait partie de la « poignée de spécialistes » qui prennent en charge ce type de patients.

Pour s'en prendre à la liberté d'un adulte, il faut que ce dernier soit « non consentant » ou « inapte à consentir ». Dans tous les cas, la prise en charge thérapeutique, ajoute le praticien, suppose une indication du médecin en bonne et due forme. Il dénonce donc « les juges d'application des peines qui se livrent à un exercice illégal de la médecine » en suggérant à des détenus un traitement anti-androgène, censé favoriser leur sortie de prison. Il est indispensable, pour procéder à des soins, que le médecin soit indépendant de la justice, que le patient, « a fortiori quand il est derrière les barreaux », soit « consentant » ; les bénéfices pour l'intéressé compensent les risques ». En somme, un traitement anti-androgène, « perturbateur de la fonction biologique », ne doit être retenu que s'il protège autrui des dérives sexuelles de la personne soignée.

Ni portrait-robot, ni traitement standard

Dès lors qu'il est impossible de dresser un portrait-robot du déviant sexuel, il n'y a pas de traitement standard. « Nous ne partons pas d'une maladie, mais d'un comportement », explique le Dr Bernard Cordier. Avec certains, la solution pourra être « psycho-pédagogique ».
L'éducation sexuelle corrigera les « distorsions cognitives » du pédophile « convaincu que les enfants adorant les caresses n'attendent que ça », ou du violeur qui affirme que « lorsque les femmes disent non, elles pensent oui ». « Personnellement, témoigne le Dr Cordier, je passe trois séances à démontrer au pédophile que l'accès à la sensualité n'est pas la sexualité. »
Les psychothérapies aussi peuvent être utiles. Elles sont individuelles, en particulier pour ceux qui affichent des difficultés à prendre la parole, ou de groupe, comme s'y emploie le Dr Roland Coutanceau à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) quand les patients ont des « profils sensiblement similaires ». Dans le cadre d'une thérapie d'inspiration analytique « on recherche la trame de la conduite sexuelle déviante, parfois très ancienne », et « les délais d'action d'une telle démarche, prévient le Dr Bernard Cordier, sont alors beaucoup plus longs que le délai de récidive ».
Quant à la « thérapie du déconditionnement », elle n'agit pas sur le comportement, mais vise à éliminer le malaise du sujet. Elle repose sur la relaxation, ou, comme aux Etats-Unis ou dans le nord de l'Europe, sur des « punitions du style "Orange mécanique" (courant électrique dans les testicules) ». Une méthode « dépourvue de tout aspect éthique », juge le psychiatre hospitalier .

Des médicaments freinant la libido sans AMM

Dans la panoplie thérapeutique, il y a des « médicaments qui freinent la libido ». Les neuroleptiques en font partie ; mais le plus souvent, à l'exception de quelques nouveaux produits (rispéridone, olanzapine), « leurs effets sédatifs sont peu compatibles avec une activité professionnelle ». En fait, ce sont les anti-androgènes qui semblent « les mieux adaptés », affirme le Dr Bernard Cordier, qui les a prescrits à une cinquantaine de patients depuis une vingtaine d'années. Ils sont deux : l'acétate de cyprotérone, indiqué pour le cancer de la prostate et l'hirsutisme de la femme, et la LHRH, hormone hypophysaire, utilisée pour le traitement de la puberté précoce. Ils figurent dans le Vidal, mais n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les troubles psycho-sexuels. Il est à noter que « le traitement, qui n'est efficace ni sur la cause ni sur l'orientation sexuelle, n'est pas curatif, mais seulement symptomatique ». Cependant, « il crée une situation favorable permettant d'entamer une psychothérapie de quelque nature qu'elle soit. Grâce à ces médicaments, le risque de récidive est momentanément supprimé ».
Le Dr Bernard Cordier ne comprend d'ailleurs pas « pourquoi le problème de l'AMM n'a pas été résolu, comme l'avait recommandé la commission Santé-Justice, au début des années 1990 » (1). « En outre, il faut savoir, ajoute le psychiatre, que l'exposé des motifs de la loi Guigou du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infractions sexuelles et sur la protection des mineurs renferme un paragraphe entier sur les anti-androgènes. »
Pour l'heure, une quinzaine de patients du Dr Cordier sont « sous anti-androgènes », et « s'ils arrêtent de les prendre, ça reprend ».
La LHRH, qui est administrée par voie injectable, a un effet de trois mois. Comme pour l'acétate de cyprotérone (comprimés, 4 par jour), le coût revient, en moyenne à 1 000 F par mois. Le comité d'éthique, saisi du sujet en 1995 par l'IGAS alors que ces traitements avaient cours en prison, rappelle, qu'il n'y a pas, pour l'instant, d'étude sur les conséquences à long terme. Des effets, proches de ceux qui sont établis pour la ménopause seraient possibles. « Oui, nous nous trouvons dans une zone incertaine ; le traitement est sans garantie à long terme. Cependant, précise le Dr Cordier, tant que l'agresseur de femmes, dont l'excitation sexuelle provient de la soumission ou de la peur qu'il inflige, prend ses comprimés ou a ses injections il n'est pas dangereux. » De son point de vue, il est clair que le traitement médicamenteux est un plus pour le patient pédophile, le patient sadique qui érotise la souffrance de sa victime ou le patient exhibitionniste qui érotise le regard. L'essentiel, en la matière, est que le sujet « reconnaisse qu'il ne maîtrise plus sa sexualité, qu'il est passé du registre du désir à celui de la dépendance, voire de l'aliénation ». Sans quoi, toute prise en charge est impossible. Les Guy Georges en puissance refusent toute « alliance thérapeutique », ou alors l'acceptent dans une forme d'affabulation, de mensonge. Et le médecin, bien sûr, a besoin de la confiance sans réserve de son patient.

Hospitalisation d'office

Dans le cas du « tueur de l'Est parisien », on ne peut que regretter, avec le Dr Olivier Pascal, l'un des 27 ou 28 experts généticiens près les tribunaux, que le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) n'ait pas été mis en place le 30 mars 1998, jour où son ADN a été caractérisé. Chaque année de 4 000 à 5 000 expertises génétiques sont réalisées, dont 1 600 à Nantes où travaille le Dr Pascal. La majorité concerne des recherches en paternité, à la demande de juridictions civiles. « En Grande-Bretagne, même l'ADN des suspects est conservé (2) , ce qui ne sera pas le cas en France, à l'automne, quand fonctionnera le FNAEG », fait remarquer au « Quotidien » le Dr Pascal.
Dans ces conditions, la porte est étroite pour préserver la société des récidives, reconnues comme « systématiques », des agresseurs sexuels condamnés ayant achevé leur peine. La parade pour les incurables dangereux refusant toute « alliance thérapeutique » est la perpétuité, assortie d'une peine de sûreté garantissant, en quelque sorte, la mort du détenu en prison. Pour les autres, non condamnés à perpétuité mais tout aussi dangereux et récidivistes « à coup sûr », la solution serait que l'autorité préfectorale obtienne une hospitalisation d'office lorsque le détenu est libéré. Mais, là encore, le maintien ad vitam aeternam en milieu fermé, hospitalier, n'est pas de pratique courante.
Me Monique Pelletier, ancienne secrétaire d'Etat auprès d'Alain Peyrefitte, garde des Sceaux, n'exclut pas qu'il puisse exister « des vertus des très longues peines. Elles changent les hommes, dit-elle au "Quotidien", et peuvent atténuer les pulsions ».

Le suivi socio-judiciaire

Et pourquoi ne pas imaginer que la loi de juin 1998 sera utile, en particulier quand le « suivi socio-judiciaire » (SSJ) sera effectif (décrets en attente) ? Constituant une peine complémentaire qui vise les personnes sanctionnées pour affaire de mœurs, le SSJ donne au condamné « l'obligation de se soumettre (...) à des mesures de surveillance et d'assistance », en particulier à une injonction de soins, d'une durée maximale de dix ans pour un délit et de vingt ans pour un crime. A défaut, l'intéressé retournera en prison pour 2 ans ou 5 ans. Si le détenu est consentant, il appartiendra à son médecin de le prendre en charge et d'en informer, sans violer le secret médical, le juge d'application des peines. Il sera aidé d'un praticien coordonnateur (100 seront désignés par la chancellerie), rémunéré 2 800 F par patient et par an. A son niveau, le Dr Jocelyne Raptelet, qui exerce à la prison de Casabianca (Corse), où 180 des détenus sont des délinquants sexuels (« le Quotidien » du 12 mai 2000), estime que « en l'absence de prise en charge sociale à la sortie, l'accompagnement psychothérapeutique représente peu de chose. La psychothérapie, appliquée à ces gens perdus, constate-t-elle, semble inopérante si rien n'est fait socialement ».

(1) Rapport du Dr Balier sur les agresseurs sexuels.
(2) L'ADN pourra être prélevé sur les suspects, à des fins de comparaisons, dans une procédure judiciaire donnée, mais il ne sera pas conservé.

Délits et crimes sexuels

- 48 % des verdicts de cour d'assises concernent des agressions sexuelles. Un sur deux a trait à des viols sur mineurs par l'entourage familial.
- 475 violeurs d'enfants de moins de 15 ans ont été condamnés en 1998, contre 271 quatre ans auparavant. Au cours de la même période, les agressions sexuelles sur moins de 18 ans ont donné lieu à 1 119 condamnations, au lieu de 64.
- 1 détenu sur 5 est agresseur sexuel.

Philippe ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6891