Je n'apprendrai rien à personne en répétant que la médecine pratique à la campagne consiste surtout à faire des kilomètres en voiture ou autrement. Tout le monde sait, d'autre part, que les honoraires médicaux, en province, s'évaluent au kilomètre parcouru ; ce qui n'est que justice en apparence puisque plus le malade à voir habite loin, plus il faut de temps pour le rejoindre ; et puisque, dans tous les pays du monde, à notre époque, le travail non contrôlable est surtout rémunéré au " temps passé " avec frais de déplacement en conséquence.
Il résulte de ce système, illogique au premier chef en réalité quand on réfléchit à ces choses, que ce sont les gens les plus éloignés du lieu où habite le praticien qui paient le plus cher ses visites. Comme ce sont, en très grande majorité, des paysans et des ouvriers, il en résulte que plus on est pauvre, c'est-à-dire éloigné de tout centre, plus l'on paie cher les soins médicaux, les soins les plus immédiats et les plus nécessaires !
C'est évidemment, sinon le monde renversé, du moins de la logique d'imbécile. Mais l'être humain, qui se vante tout le temps, n'est pas bien malin, car nous vivons avec ce régime invraisemblable depuis des siècles ! Ce qui prouve que les choses les plus simples n'intéressent personne et que les réformes les plus urgentes sont toujours les plus difficiles à obtenir… On m'objectera qu'il n'y a pas moyen de faire autrement, et que par suite il en sera toujours ainsi ! J'admets que d'ici longtemps on ne changera probablement rien du tout à cet état de choses, stupide et indigne d'un pays qui se prétend civilisé… et socialiste dans l'âme (je parle ici au point de vue philosophique).
Mais je ne suis pas du tout convaincu qu'on ne puisse remédier à ce système insoutenable, dès l'époque actuelle. Je suis même sûr du contraire, si le Gouvernement désireux vraiment d'être utile aux cultivateurs et aux pauvres, voulait s'en occuper.
En tout cas, j'ai, à ce sujet, mon petit projet qui ne pourrait qu'être favorable aux médecins de campagne. Et si jamais, vers l'âge de 70 ans, je deviens député, ce qui pourrait bien arriver, car en France tout arrive quand on vit assez longtemps, et si jamais je suis chargé de représenter des intérêts agricoles, je ne manquerai pas, comme on dit, de porter la question devant le grand public !
D'ici là, taisons-nous puisque vraisemblablement nous serions seul de notre avis. Il ne servirait à rien de se faire tuer avant d'aller à la bataille…
(Marcel Baudoin, "La Gazette médicale de Paris ", 9 juillet 1904)
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