P ENETRER en terres étrangères, s'aventurer dans des contrées inconnues, être ailleurs. Le théâtre ne l'offre que rarement. En montant, d'une manière très forte et très personnelle « les Juives », de Robert Garnier, Eric Génovèse, jeune et brillant sociétaire de la Comédie-Française, réussit un triple pari : il prouve qu'il est metteur en scène, que l'on peut monter cet auteur réputé injouable, et en particulier cette pièce, et que dans un petit lieu, avec des moyens modestes et des comédiens inconnus, on peut offrir au public un spectacle rare et envoûtant.
Envoûtante est la langue de Garnier (1544-1590), envoûtante l'atmosphère qu'impose Génovèse - lumières Olivier Tessier, son Jean-Luc Ristord, costumes de Renato Bianchi et Laure Skaky avec, unique, une robe vivement colorée de Christian Lacroix. Mais, par-delà ces impressions, et malgré la réticence que l'on peut avoir, en pénétrant dans ce continent de langue sublime, sur la façon lente, volontairement lente, dont les comédiens disent leur texte ardu (articulation parfaite, suspens, blancs), c'est la puissance du regard d'Eric Génovèse sur l'oeuvre qui subjugue.
Quatre heures maîtrisées, unies, et pourtant tout en éclats divers, dans ce lieu minuscule qui fut l'ardent foyer de Jacques Mauclair, quatre heures de ce régime particulier qu'imposent des règles que Garnier choisit librement (dans « les Juives », on va du lever au coucher du soleil mais sans action dramatique au sens propre : tout est joué ou se jouera plus tard), quatre heures d'une emprise qui ne se relâche pas. Le noeud dramatique, c'est la trahison de Sédécie, roi de Jérusalem grâce à Nabuchodonosor, roi des Assyriens, qui a pris le parti du roi d'Egypte...
Dix jeunes interprètes se plient avec une sourde ardeur aux indications de Génovèse et à cette langue très inventive, rugueuse, mais très accessible, très claire, que l'on comprend d'autant mieux que rythme est juste, certainement. Lucas Anglares, Laurent Battist, Bruno Bernardin, Charlotte Brancourt, Véronique Ebel, David Kammenos, Sophie Mayer, Marie Nicolle, Sophie Sire, Nathalie Sprenger et la voix acide d'une enfant, Lola Battist. Tout est juste, déchirant, inquiétant, dans la ténèbre comme dans la lumière, tout est émotion et splendeur grave. Tout est invention, utilisation idéale de l'espace, des corps, des timbres. Il y a des moments sublimes, tel l'apparition du prophète joué par Véronique Ebel, à l'acte V. Tant d'autres.
Théâtre du Marais, à 19 h du mardi au vendredi, à 15 h les samedi et dimanche. Durée : 2 h 10 et 1 h 50, avec, entre les deux parties un entracte de vingt minutes (01.44.78.98.10). Jusqu'au 29 avril.
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