De notre correspondant
E N 1975 sortait sur les écrans américains un film du réalisateur tchèque Milos Forman, « Vol au-dessus d'un nid de coucous » qui a fait grand bruit, non seulement dans le public, du fait de sa qualité, mais dans la communauté médicale parce qu'il présentait l'électrochoc comme une thérapie barbare.
Pendant le quart de siècle qui a suivi, cette procédure a été pratiquement bannie de l'arsenal thérapeutique américain, à cause de la très mauvaise réputation que le film lui avait faite. Mais elle n'a pas été condamnée par les autorités médicales et, aujourd'hui encore, l'électrochoc est avalisé par l'American Medical Association, la National Mental Health Association et l'American Psychiatric Association. Du beau monde, en quelque sorte.
Cependant, bien que la thérapie électroconvulsive (ECT) soit pratiquée désormais sous anesthésie, très peu de patients et très peu de familles autorisent les médecins à se servir de cette méthode pour soigner une dépression.
Professeur de psychiatrie à l'université Columbia, le Dr Harold Sackeim a toujours été l'un des partisans les plus ardents de la méthode. Et, pour en souligner les effets positifs, il s'est lancé dans une étude comprenant 84 patients qui souffraient d'une dépression sévère. Les résultats de ce travail ont été publiés dans le « Journal of the American Medical Association » (JAMA) du 14 mars. Il montre que 84 % des patients traités par électrochoc ont fait une rechute dans un délai de six mois ou moins. Des études antérieures ont montré que le taux de rechutes dans le même délai n'est que de 20 % avec un traitement médicamenteux et de 50 % sans traitement aucun.
Un débat primordial
Le Dr Sackeim est probablement embarrassé mais, dans l'article qu'il publie dans le « JAMA », il écrit quand même que la thérapie électroconvulsive (ECT) est, à ses yeux, la meilleure procédure à suivre, et que son étude montre simplement qu'il faut accompagner l'ECT d'une médication. Quant au rédacteur en chef adjoint du « JAMA », le Dr Richard Glass, il préfère écrire, dans un éditorial associé que, quoi qu'il en soit, « il est temps de faire sortir l'ECT de l'ombre », phrase énigmatique qui signifie sans doute que des études plus larges et aux conclusions indiscutables sont souhaitables. Dans un pays où la dépression sévère affecte 10 % des gens âgés de 18 ans et plus, soit 17 millions de personnes, le débat n'est pas accessoire. Or le Dr Glass poursuit son éditorial dans des termes contradictoires : « Pour traiter la dépression sévère, l'ECT est la méthode qui a produit les effets les plus impressionnants et ont atténué les symptômes dans 50 à 90 % des cas », écrit-il. Mais enfin, ajoute-t-il curieusement, « en y regardant bien, provoquer des convulsions chez un patient avec du courant électrique peut apparaître comme une façon bien étrange de traiter une maladie ».
Le Dr Peter Breggin ne le lui envoie pas dire : l'étude, affirme-t-il, « admet clairement que le choc électrique est sans valeur ». Linda Andre, directrice du Groupe pour la vérité en psychiatrie, une association anti-ECT, critique le Dr Sackeim pour ses liens avec l'industrie : l'étude a été financée par le National Institute for Mental Health (NIMH), mais aussi par MECTA, fabricant de matériel pour l'électrochoc. Le Dr Sackeim répond qu'il a travaillé pour MECTA et a touché des honoraires, mais qu'il n'a pas placé d'argent dans l'entreprise.
Même les médecins favorables à l'ECT (qui existe depuis une soixantaine d'années) soulignent ses effets secondaires, notamment la perte de mémoire qui affecte à terme les patients. En 1972, le candidat démocrate à la vice-présidence des Etats-Unis, Thomas Eagleton, a dû renoncer à sa candidature quand la presse révéla qu'il avait subi des électrochocs ; ce qui montre que le public considère ce traitement comme un dernier recours, d'où on ne sort pas complètement indemne.
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