Vers de nouveaux objectifs au traitement

La dépression est-elle une maladie cognitive ?

Publié le 17/12/2015
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Les troubles cognitifs sont des plaintes fréquentes des patients déprimés, jeunes et âgés.

Les troubles cognitifs sont des plaintes fréquentes des patients déprimés, jeunes et âgés.
Crédit photo : PHANIE

On assiste actuellement, dans le domaine de la dépression majeure, à une reconsidération de l’importance diagnostique, fonctionnelle et pronostique des troubles cognitifs. Les désordres cognitifs de la dépression sont classiquement classés en : 1) troubles de la cognition froide (ex. troubles de l’attention, de la mémoire, des capacités de planification et de prise de décision) ; 2) troubles de la cognition chaude, ce terme soulignant l’influence des émotions sur les processus cognitifs (ex. biais attentionnel ou mnésique pour les stimuli ayant une valence émotionnelle négative).

Il faut également noter l’importance, chez les patients déprimés, des troubles de la motivation (conçue ici comme la capacité à sélectionner une action ou investir de l’énergie dans cette action de façon à maximiser les récompenses, minimiser les pertes et les efforts produits) et les perturbations de la cognition sociale (ex. capacité à inférer des états mentaux et émotionnels en vue d’interagir avec autrui).

Les troubles cognitifs sont des plaintes fréquentes des patients déprimés, jeunes et âgés. Ils sont des déterminants majeurs du fonctionnement psychosocial des patients. Ils peuvent persister après un traitement antidépresseur et constituer des facteurs de risques de rechutes et de récidives dépressives. Leurs bases physiopathologiques tendent à être mieux définies et impliquent une dynamique perturbée de fonctionnement de réseaux cérébraux (en particulier les réseaux du contrôle cognitif et le réseau du mode par défaut, impliqués dans la distribution et l’allocation des ressources attentionnelles) associée à une modulation anormale par les neurotransmetteurs (en particulier glutamatergique).

La cognition souvent négligée

Malgré le caractère prévalent, persistant et pertinent de la cognition dans la dépression, cette dimension symptomatique est souvent négligée par les psychiatres et les soignants. Deux raisons principales peuvent expliquer cela : l’absence d’outils pour mesurer objectivement et facilement les fonctions cognitives et l’absence de traitement les ciblant spécifiquement.

Cependant, des nouvelles molécules antidépressives commencent à apparaître avec un effet procognitif favorable dans la dépression, via un phénotype de modulation réceptorielle complexe et favorisant la modulation de la transmission glutamatergique. De même, les outils des nouvelles technologies (ex smartphone, tablette électronique) vont nous permettre d’utiliser des mini-batteries de tests cognitifs en consultation ou au lit du patient. Enfin la remédiation cognitive, les techniques de neuro-feedback investissent également le champ de la cognition dépressive et offrent ainsi au psychiatre une palette renouvelée et enrichie de méthodes diagnostiques et thérapeutiques. Faut-il craindre un changement majeur dans la pratique clinique psychiatrique avec ce type d’approche du soin au déprimé ? Bien évidemment non, et au contraire on peut penser que considérer la dépression dans toutes ses dimensions, incluant la dimension cognitive, va contribuer à définir des nouveaux objectifs au traitement de cette affection.

PU-PH, service de psychiatrie adultes

ICM/UPMC UMR-S 975/Inserm U 1127/CNRS UMR 7225

GH Pitié-Salpêtrière, Paris

Pr Philippe Fossati

Source : Bilan spécialiste