Paliers de l'OMS

Intérêt et limites

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Publié le 18/01/2018
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En 1986, l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) a établi les 1res recommandations pour la prise en charge de la douleur cancéreuse. Fondées sur les niveaux de douleur définis par l’OMS, elles constituaient une approche par étape,pour l’utilisation d’antalgiques de plus en plus efficaces selon l’intensité de la douleur (1). Trois paliers ont été définis, Le palier I des douleurs dites faibles à modérées, soulagées par des antalgiques non opioïdes, le palier II des douleurs modérées à sévères nécessitant des opioïdes faibles, et le palier III des douleurs sévères relevant des opioïdes forts. L’anxiété était traitée par des médicaments adjuvants.

Les paliers de l’OMS ont fait leur temps

L'échelle de l'OMS (modifiée en 1997) et les principes qui l'accompagnent ont l’indéniable intérêt historique de servir de référence internationale pour promouvoir la prise en charge de la douleur, standardiser la prise en charge de la douleur en cancérologie et sensibiliser les professionnels de santé à la nécessité de cette prise en charge. Elle permet peut-être également d'établir une hiérarchie d'efficacité des antalgiques dans les douleurs nociceptives usuelles post-traumatiques, post-chirurgicales et crises hyperalgiques.

Les limites de l’échelle tiennent à sa généralisation excessive. Ainsi, supposer qu'une molécule d'un palier est systématiquement plus efficace que celle d'un palier inférieur dans toute douleur liée au cancer est discutable, comme une prise en considération systématique de la nécessaire progressivité des paliers; d'autre part l’échelle a trop été utilisée comme référence pour les douleurs non-cancéreuses et comme classification d'efficacité des antalgiques.

Dans les douleurs aiguës, l’intensité justifie parfois d’emblée un traitement par un opioïde fort pour réduire rapidement la douleur et permettre l’emploi d’un antalgique non-opioïde en cas d’apaisement (en utilisant l'échelle en sens inverse). Enfin, l’échelle est inadaptée aux douleurs neuropathiques, y compris dans le contexte de la cancérologie et aux douleurs chroniques non cancéreuses en général.

Vers une classification thérapeutique

Aussi cette classification est objet de débats. Le choix thérapeutique médicamenteux est guidé par l'intensité de la douleur mais aussi par le mécanisme physiopathologique de la douleur et le patient lui-même .Prescrire des opioïdes forts sans tenir compte de la nature de la douleur a conduit les prescripteurs à des utilisations souvent inappropriées et en tout cas excessives dans les douleurs chroniques non cancéreuses où le risque de mésusage peut être élevé.

La communauté scientifique a suggéré d’autres classifications. D. Lussier et P. Beaulieu ont proposé une classification très pharmacologique des antalgiques, sur leur mécanisme d'action avéré ou supposé (2), fondée souvent sur des éléments précliniques. Elle intègre des produits a priori proches (AINS et coxibs ou différents anti-épileptiques, par exemple) dans des groupes différents. Si la justification moléculaire d'un tel classement peut exister, le lien avec la thérapeutique paraît plus lointain.

Il semble, dans l'état actuel de la pharmacopée des antalgiques plus pragmatique de proposer une classification thérapeutique qui pourrait regrouper les produits ayant des profils similaires en termes de ratio bénéfice/risque. Les opioïdes; les autres antalgiques utilisés dans les douleurs nociceptives qui pourraient être différentiés selon qu’ils ont ou non une activité anti-inflammatoire; les médicaments des douleurs neuropathiques; les anti-migraineux constituant une classe à part...Une telle classification, certes simple, serait ouverte vers l'innovation faisant la place à tout nouveau concept pharmacologique ou aux traitements potentiels des douleurs nociplastiques.

* Service de pharmacologie médicale, CHU, Clermont-Ferrand, Université Clermont Auvergne et UMR Inserm / UCA 1107 Neuro-Dol, pharmacologie fondamentale et clinique de la douleur.
1) Jadad AR, Browman GP. The WHO analgesic ladder for cancer pain management. Stepping up the quality of its evaluation. Jama 1995; 274(23): 1870-3.
2) Lussier D, Beaulieu P. Toward a rational taxonomy of analgesic drugs. Pharmacology of pain, Pierre Beaulieu, et al. Ed IASP Press 2010: 27-42.

Dr Gérard Bozet

Source : Le Quotidien du médecin: 9632