L E 15 juin dernier, une première : un patient de 72 ans, insuffisant cardiaque, moins de deux ans après un infarctus, recevait, dans le cadre d'une intervention pour double pontage coronarien, une autogreffe de myoblastes. Ces cellules avaient été prélevées dans la cuisse, cultivées et multipliées in vitro, avant d'être réinjectées dans le tissu cicatriciel (« le Quotidien » du 19 octobre 2000). A l'automne, à l'occasion du congrès de l'American Heart Association, le Pr Philippe Menasché et le Dr Albert Hagège annonçaient que la phase I en cours allait se poursuivre chez 8 autres patients.
Le travail avance, puisqu'un second patient, âgé lui de 66 ans, a effectivement reçu, voici un mois, une autogreffe, analogue à celle effectuée en juin.
Les myoblastes greffés se contractent avec le myocarde
En termes de tolérance, même si la phase I est loin d'être terminée, il semble que les choses se passent au mieux. En termes d'efficacité, même si, là encore, la preuve revient à une phase II, on a tout lieu d'être optimiste. Le suivi du premier patient au PET-scan et par tomographie montre en effet que les myoblastes greffés se contractent avec le myocarde, par recrutement purement mécanique, via les mécanorécepteurs. Il reste naturellement à déterminer dans quelle mesure les myoblastes assistent la contraction myocardique.
Aujourd'hui, selon le Pr Menasché, « le recrutement tend à s'accélérer » - preuve, au passage, que la technique est bien perçue, force de l'autogreffe, sans doute : l'importance de cet aspect a d'ailleurs été confirmé par le premier patient lui-même. Quoi qu'il en soit, la phase I pourrait être achevée à la fin de l'année 2001. Après quoi, si la faisabilité se confirme, une phase II contrôlée, multicentrique et européenne, sera lancée, qui pourrait concerner une centaine de patients. Le protocole actuel ne prévoyant de greffe qu'à l'occasion d'un pontage, il est en effet difficile de faire la part des choses dans l'évaluation des patients. C'est donc la phase II, et elle seule, qui permettra d'affirmer l'efficacité.
Insuffisances cardiaques consécutives à une ischémie
A priori, la technique s'adresse essentiellement aux insuffisances cardiaques consécutives à une ischémie, lorsque les injections peuvent être localisées à la zone cicatricielle. Dans les cardiomyopathies dilatées, des injections multifocales paraissent plus difficiles à réaliser, et surtout, d'une efficacité plus aléatoire. Avec plus de 100 000 nouveaux cas par an, dont environ 10 % réagiront insuffisamment aux traitements, l'enjeu reste toutefois considérable - d'autant qu'il ne faut pas s'attendre à une augmentation significative des 350 à 400 transplantations cardiaques réalisées chaque année. Du côté des pouvoirs publics, on réfléchit donc à ce que pourrait être l'organisation des thérapies cellulaires en France.
Le problème n'est pas le coût direct, puisque l'autogreffe de cellules revient quatre à cinq fois moins cher qu'un pontage. Sur le plan technique, il ne réside pas non plus dans l'injection proprement dite, décrite par le Pr Menasché comme relativement aisée - même si le chirurgien estime par ailleurs que la technique d'injection pourra probablement être améliorée. La limitation technique tient en fait à la préparation des cellules et leur expansion in vitro. Jusqu'à présent, les capacités des laboratoires de l'hôpital Saint-Louis (J.-P. Marolleau) et de l'institut de myologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (J.-T. Vilquin) se sont montrées suffisantes. Dès la phase II, toutefois, on changera d'échelle. Et si la technique tient ses promesses, on arrivera vite au stade industriel.
Des laboratoires un peu partout en France
Pour l'autogreffe de myoblastes, comme d'ailleurs pour les autres thérapies cellulaires en cours d'expérimentation, des laboratoires capables de préparer les cellules à réinjecter devront être installés un peu partout en France. Un aspect important est acquis : les cellules peuvent voyager sans dommage. Selon Félix Reyes, chargé de mission auprès de Dominique Gillot, on peut donc envisager un laboratoire dédié aux thérapies cellulaires par région, et de deux à quatre laboratoires en Ile-de-France. Leur structure, publique ou privée, reste à définir et leur tâche exacte à délimiter. En attendant, il est déjà manifeste que le développement clinique des résultats obtenus cette année par des thérapies cellulaires est devenu une priorité des pouvoirs publics.
L'équipe à l'origine de la première autogreffe de myoblaste associe des cardiologues, A. Hagège et M. Desnos (HEGP), et D. Duboc (Cochin), des chirurgiens, M. Scorsin, B. Pouzet et Ph. Menasché (Bichat), et des spécialistes de la thérapie cellulaire, J.-T Vilquin (la Pitié, INSERM U563, dirigée par K. Schwartz) et J.-P. Marolleau (Saint-Louis).
De 800 à 900 millions de cellules par patient
L'autogreffe cardiaque de myoblastes a été développée dans la foulée des allogreffes, tentées aux début des années quatre-vingt-dix dans les myopathies - d'où, d'ailleurs, l'expertise de l'institut de myologie de la Pitié en la matière. Dans les myopathies, cette technique n'avait pas convaincu. L'une des explications avancées était qu'il s'agissait d'allogreffes, toujours plus problématiques. Quoi qu'il en soit, le concept a été repris et a pu être appliqué au myocarde, après sept ans de recherches chez l'animal.
La difficulté technique tient en fait à la culture et, surtout, à l'expansion des cellules par un cocktail de cytokines et autres facteurs de croissance.
La technique a été mise au point par Jean-Pierre Marolleau et Jean-Thomas Vilquin. C'est elle qui a permis d'obtenir les quelque 800 et 900 millions de cellules injectées au premier et au second patient respectivement. En fait, le nombre de cellules injectées paraît crucial et, pour le Pr Menasché, il est inutile de tenter l'intervention en deçà de 500 millions de cellules. C'est d'ailleurs pour préserver au maximum les cellules greffées que l'on réfléchit à des modes d'administration plus « conservateurs » que l'injection. On note enfin que la stimulation des cellules en culture pouvait faire craindre un risque de transformation tumorale. Ce risque n'a pas été confirmé chez l'animal. Il sera néanmoins suivi de près chez les patients.
Le procédé d'expansion développé en France a fait l'objet d'un dépôt de brevet. Il n'a apparemment pas d'équivalent. Ainsi, si une autogreffe de myoblastes a également été réalisée aux Etats-Unis, c'est avec quelque 10 millions de cellules seulement, à l'occasion de l'appareillage d'un patient en attente de transplantation. Cette greffe permettra cependant d'étudier de près le devenir des cellules greffées.
Aujourd'hui, la technique utilisée en France suscite le plus grand intérêt en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. L'autogreffe de myoblaste pourrait par ailleurs se développer dans des indications non cardiologiques. En urologie, par exemple, le même procédé pourrait être envisagé pour traiter l'incontinence urinaire.
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