D E Hillary Clinton ou de Christine Ockrent, c'est la seconde, probablement, que le public français connaît le mieux. Aussi bien était-ce judicieux, de la part de la journaliste de télévision, très familiarisée avec la société américaine, de déchiffrer sous la forme d'un récit agréable à lire, la personnalité de l'ex-First Lady, aujourd'hui sénateur de l'Etat de New York (1).
Christine Ockrent ne s'est pas engagée dans une méditation profonde soutenue par des monceaux de documentation. La profession qu'elle exerce et le rôle qu'elle y joue lui ont permis de rencontrer Mme Clinton à plusieurs reprises avant même qu'elle ne devînt la première dame d'Amérique. A des connaissances éparses ou livresques, elle a apporté ensuite le produit de quelques semaines d'observation passées dans le sillage de la candidate, peu avant l'élection de novembre. Il en résulte un portrait aussi complet que possible qui, plus qu'un texte sociopolitique, est un grand reportage, avec des cassures délibérées dans le récit, une multitude de témoignages et un acharnement à percer le mystère d'un caractère qui n'aime pas se livrer.
Christine Ockrent accomplit un exercice d'une rigueur absolue : si l'on pense (sans doute comme elle) que Mme Clinton est un personnage en tout point digne d'estime, ne serait-ce que pour la grâce avec laquelle elle a subi quelques terribles humiliations et de haineuses attaques du parti républicain, l'auteur laisse moins percer ses sentiments personnels que les avis, dithyrambiques ou accablants, qu'elle a recueillis.
A commencer par celui de Camille Paglia, féministe à tout crin, qui, pour être célèbre, cultivée et apparemment très intelligente, se lance dans une diatribe si excessive qu'on ne la croit pas un instant capable d'impartialité : dans le même souffle, le Pr Paglia (c'est ainsi qu'elle veut qu'on l'appelle, la qualité d'intellectuel n'empêchant pas nécessairement le narcissisme) traite Mme Clinton de fasciste, d'arrogante, d'élitiste, de petite juriste de province sans culture, se moque de ses tenues, de sa coiffure et de sa famille, et l'accuse, bien sûr, d'avoir causé tous les malheurs de son mari.
Les métamorphoses de Hillary
Tant de ressentiment incontrôlé en dit long sur les Clinton haters, catégorie très répandue à Washington où il ne reste plus un seul des anciens conseillers de la Maison Blanche pour absoudre Bill ou Hillary. Christine Ockrent rapporte scrupuleusement ces propos incendiaires, de sorte qu'on peut aussi lire son livre du point de vue de l'anti-clintonien.
Mais elle montre bien en même temps les métamorphoses consécutives de Hillary, en prenant même un soin minutieux à décrire ses toilettes, et le nombre infini de ses coiffures, à propos desquelles elle nous offre une double page édifiante de photos en couleurs. Le féminisme n'est pas l'ennemi de la féminité. La baba cool d'autrefois s'est transformée en une femme belle et distinguée, rayonnante en tout cas, en dépit d'une présidence qu'elle a vécue souvent comme un calvaire.
Ce n'est pas son moindre mérite, de même qu'il n'était pas simple d'aller briguer le siège de sénateur de New York, qu'elle a enlevé avec une avance considérable sur son adversaire. Lequel, pour être jeune et séduisant, n'en avait pas moins des attitudes de macho à l'égard de sa rivale.
Il ne fait pas de doute que les Clinton savaient (et savent encore) faire parler d'eux, en bien ou en mal ; que leur pouvoir, associé à leur jeunesse relative, à leur style kennedien, aux succès de l'administration démocrate leur ont valu des antipathies d'autant plus profondes et durables qu'ils leur ont prêté le flanc par d'innombrables erreurs.
Une révolution manquée
Comme « La double vie d'Hillary Clinton » est conçu comme un ouvrage universel, facile à lire, Christine Ockrent, qui en est bien sûr capable, n'a pas voulu pénétrer le domaine sociologique ou idéologique des Clinton en général et de Hillary en particulier.
Néanmoins, elle mentionne longuement l'échec du projet d'assurance maladie universelle que Bill a confié à son épouse et qui a abouti à l'échec le plus retentissant des huit années de son mandat. C'est pourtant ce projet qui, bien qu'il aboutît à une déroute, décrit le mieux les ambitions, les convictions, le sens de l'Etat et de la res publica de l'ex-First Lady. On ne peut pas observer les Etats-Unis du point de vue français sans se dire que le plus grave travers de la société américaine réside d'ans l'absence d'assurance maladie universelle. Les Clinton ont une dimension européenne : cette carence les scandalisait, comme elle choque un certain sénateur Ted Kennedy qui a passé trente ans à tenter d'imposer le concept au Congrès, mais en vain.
Bill et Hillary se sont donc attelés à une tâche surhumaine, avec un objectif dont on peut dire sans exagérer qu'il était de nature révolutionnaire. Ne serait-ce que parce qu'ils n'avaient pas le soutien du peuple américain. Ils ont donc lamentablement échoué. Ce qui ne veut pas dire qu'ils avaient tort.
(1) « La double vie d'Hillary Clinton », par Christine Ockrent, Robert Laffont, 214 pages, 129 F.
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