L ES vagues de l'arrêt Perruche du 17 novembre 2000 se font attendre. La Cour de cassation qui, de l'avis du Pr Israël Nizan, gynécologue-obstétricien, a provoqué un « Hiroshima éthique » en exigeant du médecin une obligation de résultats, vient de repousser, au mois d'octobre, l'examen, initialement prévu en ce début de printemps, de trois dossiers similaires au cas de Nicolas Perruche, lourdement handicapé en raison de la rubéole de sa mère non diagnostiquée lors de la grossesse (« le Quotidien » du 30 mars). Là encore, trois personnes, nées l'une avec un spina-bifida, l'autre une main et un bras manquants et la troisième une main malformée, invoquant la notion de « normalité », retenue par la plus haute juridiction française, demandent « réparation pour préjudice à la naissance ».
La Cour de cassation attend peut-être l'issue des démarches entreprises par le Collectif contre l'handiphobie* auprès du tribunal de grande instance de Paris et du Parlement. En ce qui concerne l'action judiciaire, le Collectif reproche à l'Etat, défendu par Me Xavier Normand-Bodard, une « faute lourde dans l'exercice de la justice ». De son point de vue, il n'existe aucun lien de causalité entre « ce qui n'a pas été diagnostiqué » (la rubéole de Mme Perruche) et le handicap du jeune Nicolas, souligne Me Antoine Beauquier.
D'autre part, une opération législative en cours vise à faire adopter un amendement selon lequel « la vie constitue le bien de tout être humain », et « nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance ». Le Pr Jean-François Mattei, l'un des 577 députés, s'en est emparé en vain à l'Assemblée, dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale, et son confrère Claude Huriet a fait de même au Sénat avec plus de succès en le faisant introduire dans le projet de réforme de l'IVG, mais la Commission mixte paritaire l'a écarté le 4 avril dernier, Elisabeth Guigou ayant sollicité, le 15 mars, l'avis sur le sujet du comité d'éthique.
Le praticien contraint à une obligation de résultat
C'est dans ce contexte que le Collectif contre l'handiphobie, animé par le Dr Xavier Mirabel, cancérologue lillois, père d'un enfant trisomique, a demandé, par voie de sondage BVA, l'opinion des Français en la matière. A la question « Une personne handicapée doit-elle pouvoir faire un procès à sa mère car elle n'a pas avorté, ainsi qu'au médecin qui n'a pas effectué de diagnostic prénatal du handicap ? », 86 % épargneraient la mère et un tiers s'en prendraient au praticien. Pour le Dr Roger Bessis, président du Collège français d'échographie ftale, la mise en cause du corps médical « correspond à l'évolution de la judiciarisation des faits et gestes de la profession. Ce qui est inquiétant, à l'instar de l'arrêt du 17 novembre, analyse-t-il pour « le Quotidien », c'est que le non-diagnostic devient fautif, au lieu d'une mauvaise pratique médicale. On ne dit pas au médecin des Perruche "Vous n'avez pas mis en uvre les moyens adaptés" , mais "Vous n'avez pas fait de diagnostic". Il faut bien comprendre que cela transforme complètement le contrat de confiance avec le malade. L'obligation de résultat, dès lors, prime sur l'obligation de moyens. Aussi, poursuit le médecin, expert près la cour d'appel de Paris, la seule façon de pouvoir continuer à travailler, dans ces conditions, consisterait à appliquer le principe de précaution au ftus humain. Le moindre petit élément éventuellement suspect serait signalé aux parents et conduirait à l'interruption médicale de grossesse. Ceci sous-entend, bien sûr, l'accord des médecins. Or, nous ne sommes pas fiables à 100 %, et ce que je viens d'énoncer me paraît contraire à la plus élémentaire éthique. Attendons ce que vont faire les politiques et ce que décidera la Cour de cassation prochainement. Mais, d'ores et déjà, le projet de loi sur l'aléa thérapeutique (« le Quotidien » du 6 avril) est instructif. Il prévoit qu'un organisme couvrira les dépenses liées au handicap, à charge pour lui de se retourner contre le praticien. En fait, c'est ce qui se passe dans l'affaire Perruche où la CNAMTS est partie civile ».
Pris dans des tenailles
Par ailleurs, 42 % des Français traîneraient en justice leur médecin si, après une interruption médicale de grossesse pour handicap prévisible du nouveau-né, il était établi que l'enfant n'aurait pas été malformé. « Alors là, commente le Dr Roger Bessis, je suis étonné qu'il n'y ait pas plus de personnes pour aller devant les tribunaux. En effet, la faute me paraît plus grave que d'avoir manqué un diagnostic. Ce n'est pas logique. Encore conviendrait-il, certes, de savoir exactement comment s'est déroulé le colloque singulier. »
Au total, il apparaît nettement que le médecin se trouve pris dans des tenailles, quelle que soit la situation. « On » le veut à 100 % fiable. Et il est vrai que si l'arrêt Perruche devait faire jurisprudence, les gynécologues-obstétriciens, en particulier, se verraient dans l'impossibilité d'exercer de façon sereine leur mission. La solution, suggèrent 84 % des Français consultés par BVA, serait que l'Etat développe une véritable politique de solidarité en faveur des familles de handicapés, plutôt que de les laisser se débrouiller en réclamant « réparation du préjudice résultant d'un handicap » congénital.
* Le collectif compte 200 parents d'enfants nés handicapés. Tél. 06.61.19.58.64.
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