Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2017, le Président Macron a adressé ses vœux au monde de la santé le 6 janvier 2023. Plus qu’une subite passion pour le secteur, le Président a pris conscience que la santé devait se traiter au niveau présidentiel pour générer un élan mobilisateur face à la crise la plus profonde de son histoire. Y est-il parvenu ?
Tout observateur attentif constate que ce n’est pas le cas aux vues des réactions de tout bord, professionnel comme politique. Cela s’explique. Même si le diagnostic sur la crise est juste et amplement détaillé, il manque l’analyse profonde des causes de la situation, un plan de route des solutions structurelles pour en sortir et la volonté politique de transformer le système. L’État reporte toujours l’échéance par des artifices.
Un diagnostic détaillé mais de surface
Le Président s’est longuement épanché sur les problèmes récurrents de pénurie des soignants, d’engorgement des urgences, de désertification médicale… Il l’a fait avec moult détails qui montrent qu’il a pris le temps d’analyser les problèmes du terrain. Il a été plus loin que dans son discours de 2018, mentionnant par exemple la nécessité de revoir l’application des 35 heures à l’hôpital et la gouvernance de l’hôpital.
Cependant, malgré les détails, les arguments du Président sont peu convaincants car il promet de faire avec l’existant pour produire des résultats inatteignables avec le modèle actuel, sans quoi on n’en serait pas là. Prenons deux exemples qui montrent que le problème a bien été identifié mais que sa cause n’est pas évoquée, car elle est structurelle.
D’abord, à juste titre, le Président évoque la nécessité d’apporter des réponses concrètes aux besoins des usagers en matière de santé à partir des territoires. Mais de quel territoire parle-t-il ? Celui des GHT, celui des CPTS, celui de la permanence des soins, celui de la e-santé ? Il existe autant de territoires que de secteurs de l’offre sanitaire et aucun Français ne les connaît aujourd’hui. Pour concevoir des réponses adaptées, les professionnels de santé doivent disposer d’une réelle autonomie d’organisation à partir d’un territoire unique et commun à tous les professionnels.
Ensuite, le financement de l’hôpital serait basé demain sur des objectifs de santé publique. La réalité dans le modèle actuel est l’inexistence d’objectifs de santé publique. Le pilotage financier national est purement comptable, sans assise de données de santé publique. La haute fonction publique détermine un objectif budgétaire global, agrégé des sous-objectifs sectoriels, déconnecté des besoins de santé. C’est une réforme d’ensemble du financement de la santé qu’il faut établir.
Une tentative de déminage de la crise
Malgré un discours prolixe et plein de détermination à démontrer que « je vous ai compris », l’exercice de conviction a globalement échoué. C’était pourtant l’objectif principal de l’exercice qui était avant tout d’ordre politique de déminage à court terme d’un secteur dont le mécontentement s’amplifie rapidement.
La question de la T2A, sujet éminemment technique, est symptomatique. En annonçant sa suppression, avant de rétropédaler ensuite pour dire qu’elle resterait appliquée sur les actes appropriés à ce mode de paiement, le Président espérait créer une vague d’enthousiasme et d’espoir dans le monde hospitalier, tant cette T2A est décriée. Un effet waouh qui n’a pas eu lieu.
L’échec à seulement faire passer la T2A comme mode de paiement de 70 % des actes à 50 % des actes, promesse de 2017, lors du premier quinquennat démontre la rigidité de l’institution hospitalière à toute évolution, ce qui désespère avant tout les soignants. Il est d’ailleurs frappant de voir qu’aucun service après-vente n’a été réalisé par le Ministère et/ou la fédération hospitalière de France sur ce sujet. Il en est de même pour le tandem médecin/gestionnaire pour diriger l’hôpital, que la FHF juge inopportune. Sur ces points, le Président voit juste mais l’intendance ne suit pas.
Les coups de menton présidentiels ne suffisent plus à convaincre le système de sa capacité à agir, il faut une véritable incarnation politique, inexistante à ce jour. Le sentiment est que le pouvoir politique reste au stade de la parole sans réelle intention ou capacité à passer aux actes. « Paroles, Paroles » comme dit la chanson…
Quelle réforme systémique ?
Pour changer cela, la première condition est de présenter un plan de refondation abouti et crédible de notre système de santé, avec un planning parlementaire de réalisation. C’est tout l’objet de la démarche de l’Institut Santé qui vient de proposer un tel plan intitulé « l’autonomie solidaire », après 4 ans de travaux sur une base interdisciplinaire et transpartisane. Pour illustrer que la transformation n’est, certes, pas une révolution mais un vrai changement systémique, voici trois évolutions nécessaires (1).
La création d’un service public territorial de santé délivré par les acteurs publics et privés de santé répondrait à la nécessité d’avoir une approche holistique de la santé, de piloter le système à partir des besoins de santé et de responsabiliser positivement tous les acteurs pour redonner un sens à leurs missions. Les territoires de santé de l’ordre de 150 000 habitants seraient liés contractuellement avec l’État et l’Assurance Maladie pour délivrer ce service public de santé globale.
La refonte de la gouvernance du système : un État stratège qui concevrait une loi d’orientation et de programmation sanitaire à 5 ans et dont l’organisation institutionnelle serait largement simplifiée au sein d’une grande agence nationale de santé publique qui se substituerait à la myriade des agences existantes. Cet État déléguerait à l’Assurance Maladie le pilotage de l’ensemble de l’offre de soins selon un modèle de démocratie sanitaire et sociale repensé, à partir du principe des droits et devoirs.
Enfin, le système de financement actuel à deux étages laisserait la place à un système à financeur unique où les mutuelles deviendraient des financeurs supplémentaires sur des paniers de soins déterminés et non plus des financeurs complémentaires sur l’ensemble des prestations. Outre l’économie de 20 milliards d’euros, ce nouveau modèle conserverait tous les acteurs tout en rendant le financement lisible et efficace dans la couverture du risque.
Le choix politique actuel est encore celui de faire survivre un système de santé dépassé qui sombre jour après jour. Si en politique, le pire n’est jamais sûr, nul doute que ce choix ne va pas être tenable longtemps.
*Professeur d’économie (ESCP) et président de l’Institut Santé
(1) Voir le programme de refondation de l’Institut Santé, centre de recherche dédié à la refondation de la santé ici :(https://www.institut-sante.org/lautonomie-solidaire-en-sante-document-e…)
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