L E vétérinaire par lequel a été découvert le premier cas de fièvre aphteuse en France et sur le continent s'appelle Xavier Carré. Après 35 ans de pratique libérale à Lassay-les-Châteaux (Mayenne), il n'avait de connaissance du virus aphteux que livresque, car la précédente épidémie, en 1974-1975, n'avait pas touché directement son département.
« Alors, quand j'ai été appelé par un éleveur de La Baroche-Gondouin, lundi dernier (12 mars, NDLR), pour une suspicion sur un bovin qui bavait légèrement, je ne dirai pas que j'y suis allé la fleur au fusil, mais je ne m'attendais certainement pas à ça. » Ça, c'était la très classique et caractéristique trilogie des lésions aphteuses (buccales, nodales et mammaires, avec un bourrelet coronaire des pieds), accompagnée de fièvre. « J'ai appelé la DSV, à Laval, qui m'a tout de suite mis en rapport avec un spécialiste, à l'Ecole de Maisons-Alfort. Après m'avoir questionné en détail, celui-ci s'est écrié : " Mon père, t'es plombé ! ". »
En sous-effectif
Pratiquement, les événements se sont enchaînés très vite. Le praticien effectuait deux prises de sang puis un prélèvement d'épithélium et, dans l'heure, un véhicule de la préfecture venait en prendre possession pour les acheminer à Maisons-Alfort. Cependant, les symptômes étaient suffisamment clairs pour que, sans attendre les conclusions des analyses, Xavier Carré procède sans délai à l'abattage des 114 têtes du troupeau de l'exploitation, épaulé par les personnels de la DSV.
A la préfecture, à Laval, une cellule de crise était constituée, avec des vétérinaires inspecteurs, des gendarmes, des pompiers (pour la gestion des bûchers) et des fonctionnaires de la direction départementale de l'équipement (DDE), pour mettre en place les périmètres de protection et de surveillance, respectivement à trois et dix kilomètres autour de l'élevage contaminé.
« Un mauvais concours de circonstances a fait que nous étions déjà en sous-effectif, avec deux vétérinaires indisponibles pour cause de maladie et de maternité, confie, sous le sceau de l'anonymat, un responsable de la DSV ; certes, on nous a promis deux jeunes en renfort, mais leur formation n'est pas encore achevée. Difficile, dans ces conditions, de gérer toutes nos priorités. »
Car, pour ces vétérinaires inspecteurs, chaque action constitue une priorité. La gestion des abattages tout d'abord. Pratiquement, elle est confiée aux vétérinaires libéraux, qui agissent alors sur mandat dans le cadre de la police sanitaire, avec des injections intraveineuses pour les bovins et les ovins et des double-choc électriques pour les porcins, le tout en présence d'un vétérinaire inspecteur et avec des techniciens de la DSV pour réaliser la contention des bêtes.
En huit jours, pour ce seul département de la Mayenne, outre les 114 bovins de La Baroche-Gondouin, 2 070 ovins et 3 000 porcins ont ainsi été « abattus ».
Autres priorités, la gestion des produits animaux, c'est-à-dire les relations non-stop avec les industriels de la viande et du lait, en faisant en sorte de limiter la casse économique ; le problème des transports des animaux, avec l'octroi de dérogations qui autorisent la circulation des camions vers les abattoirs ; les formalités diverses liées à la mise en uvre de l'enquête épidémiologique. « Et je ne vous parle pas des coups de téléphone continuels des particuliers, éleveurs ou non, qui nous appellent pour toutes sortes de questions », s'écrie ce responsable, plus exténué qu'excédé, en butte, par dessus le marché, aux sollicitations incessantes des médias.
Certes, toutes les DSV ne sont pas logées à la même enseigne. « Nous sommes, bien sûr, moins exposés que nos douze collègues chez lesquels ont été délimitées les vingt zones de surveillance nationale, convient, par exemple, le directeur des services vétérinaires du Cantal. Mais la pression médiatique, les formulaires administratifs divers et variés, la gestion des produits animaux et la logistique des transports de bestiaux, tout cela nous met sur les dents. Et les 300 agents supplémentaires que le ministre de l'Agriculture nous a octroyés pour gérer la crise ESB ne nous ont toujours pas rejoints. » Et pour cause : ces futurs fonctionnaires (parmi lesquels 68 vétérinaires, et des techniciens, ingénieurs et secrétaires) ne seront recrutés par concours qu'au moins de juin.
« Nous venons de demander un rendez-vous pour cette semaine à Jean Glavany, annonce au « Quotidien » Didier Perre, le secrétaire général du Syndicat national de vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA, principal syndicat de la profession). Nous voulons que les futurs recrutés puissent renforcer nos effectifs (4 000 fonctionnaires, parmi lesquels 450 vétérinaires) sitôt après le concours, avec une formation dispensée en alternance. »
Car la situation est devenue critique : « Nous sommes entièrement et exclusivement mobilisés par la fièvre aphteuse et l'ESB, assure Didier Perre. De sorte que nous ne sommes plus à même de remplir nos missions de contrôle et de surveillance du territoire pour les filières de la viande, du lait et de la pêche. » A l'en croire, c'est donc la sécurité sanitaire en France qui est aujourd'hui en péril. Et cela pourrait nous exposer à des conséquences dramatiques, pour la surveillance des toxi-infections, en particulier.
Pour l'heure, fonctionnaires comme libéraux, les vétérinaires n'ont pas le temps de nourrir des états d'âme, en cette semaine que tous ceux que « le Quotidien » a interrogés appellent la semaine de tous les dangers. Compte tenu du délai d'incubation de la maladie aphteuse, c'est en effet à la fin de cette semaine que l'on pourra dire si la stratégie prophylactique adoptée par la France a eu raison du risque épidémique. Ou si l'on va vers une explosion du virus aphteux dans l'Hexagone.
Jusqu'à la psychose
A l'intérieur des périmètres de sécurité et de surveillance, comme Xavier Carré, ou à une dizaine de kilomètres d'eux, comme Jean-Michel Burel, à Domfront (Orne), voire à 60 km, comme Gérard Desjouis (Moulins-la-Marche, Orne), tous les praticiens s'astreignent naturellement aux mêmes consignes prophylactiques, « jusqu'à la psychose », confient-ils, tant il est fastidieux, tout au long de la journée, d'enfiler une combinaison jetable à l'entrée dans chaque exploitation, d'y mettre le feu à la sortie, de se pulvériser sur les bottes des mélanges à base de Javel (dilution à huit pour mille) et autres virucides à base de chlorure d'ammonium, d'emprunter les rotoluves, de passer le véhicule au karcher au moins une fois par jour. L'obsession de transmettre ce virus au si fulminant pouvoir de contagion est dans tous les esprits de ces vétérinaires. Au point qu'en l'absence de signe clinique visible comme une salivation anormale, ils s'abstiennent de toucher aux animaux et évitent d'examiner la cavité buccale.
Dans les zones de surveillance, les visites sont systématiques et à leur initiative ; ailleurs, ce sont les éleveurs qui les appellent. « La demande est telle, souligne Jean-Michel Burel, que nous sommes obligés de remettre tous les autres actes, du moment qu'ils ne présentent pas de caractère de réelle urgence. »
La partie n'est pas gagnée. « Si vous prenez les ovins, explique Gérard Desjouis, les symptômes sont beaucoup moins flagrants que chez les bovins et nous avons souvent affaire à des élevages quasi extensifs qui fonctionnent sur de très grandes superficies. Comment être sûr, dans de telles conditions, qu'ils sont indemnes de tout cas ? »
Vacciner ou pas ?
La question de la vaccination, cependant, divise la profession. Jusque et y compris au sein de la même organisation syndicale, le Syndicat national des vétérinaires, d'exercice libéral, dont l'hebdomadaire « la Dépêche vétérinaire » titre cette semaine : « Les vétérinaires réclament une vaccination en anneau », cependant que les sections mayennaise et ornaise de l'organisation, les plus concernées par la question, jugent, dans un communiqué en date du 19 mars, que la question n'est « pas d'actualité ».
Les tenants de la stratégie dite de prophylaxie sanitaire, qui consiste en l'abattage sans vaccination, font remarquer que le vaccin n'est efficace que contre trois des sept sérotypes connus de la fièvre aphteuse, que la vaccination ferait perdre à la France son statut de pays indemne de la fièvre aphteuse, et ce pour au moins deux ans, avec les conséquences dramatiques que cela entraînerait au plan économique.
Justement, pour leur part, les champions de la prophylaxie médicale, c'est-à-dire du recours au vaccin, et plus exactement à l'anneau vaccinal organisé sur une vingtaine de kilomètres autour des cas déclarés, tel qu'il a été expérimenté dans le passé, toujours avec succès, ces champions contestent le primat actuel de la logique économique sur la logique sanitaire. Le malaise grandit chez certains vétérinaires qui dénoncent le fait de voir seulement dans l'animal de rente une unité de profit commercial et uniquement cela. « Si cette épidémie se propage en France, prévient Jean-Michel Burel, on risque de s'apercevoir que la stratégie de l'abattage ad libitum a ses limites. Et on sera bien avancé quand on aura liquidé la totalité du cheptel ! »
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