Risque iatrogène en pneumologie

Faut-il craindre les effets cardiovasculaires des bronchodilatateurs ?

Par
Publié le 21/06/2018
Article réservé aux abonnés
PHANIE_281995

PHANIE_281995
Crédit photo : ZEPHYR/SPL/PHANIE

Alors que les effets secondaires cardiovasculaires (notamment rythmiques) des bronchodilatateurs à courte durée d’action, en particulier des bêta-2 stimulants, sont connus de longue date (1), surtout en cas de mésusage, ceux de longue durée d’action, agonistes bêta-2 adrénergiques (Laba) et agents anticholinergiques (Lama), paraissaient mieux tolérés. En effet, les classiques essais cliniques randomisés versus placebo se sont révélés rassurants sur la sécurité cardiovasculaire de ces traitements. Cependant, leur durée trop courte et leur puissance trop faible empêche toute conclusion (2, 3). Surtout, la plupart de ces essais ont exclu les patients présentant des comorbidités cardiovasculaires, qui sont pourtant particulièrement fréquentes chez les sujets souffrant de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) : 38 % des insuffisants cardiaques présentent des troubles respiratoires obstructifs (4). Malgré l’inclusion de 16 485 patients associant BPCO et maladie (ou haut risque) cardiovasculaire et suivis pendant en moyenne 1,8 an, l’essai SUMMIT, bien que rassurant, n’a pas permis de conclure (5). Il faut donc s’intéresser aux études en vie réelle malgré leurs nombreux biais, à l’heure où les associations des bronchodilatateurs de longue durée d’action sont recommandées dans le traitement de la BPCO (6).

Risque le plus fréquent, l’insuffisance cardiaque

Quatre études se sont attachées à déterminer le risque cardiovasculaire potentiel de l’initiation d’un traitement bronchodilatateur. La première compare une cohorte rétrospective de 61 651 patients associant à une BPCO un antécédent et/ou un traitement cardiovasculaire à un groupe de 12 931 sujets sans antécédent et sans traitement cardiovasculaire. Les auteurs rapportent dans les 90 jours suivant l’initiation d’un traitement bronchodilatateur de longue durée d’action, grâce à une analyse multivariée, une augmentation du risque d’hospitalisation ou de passage aux urgences pour pathologie cardiovasculaire de 3,5 % en cas d’antécédent et de traitement cardiovasculaire (HR = [2,89-4,24]), de 2,15 % en cas d’antécédent sans traitement cardiovasculaire (HR = [1,71-2,70]) et de 1,36 % en cas de traitement sans antécédent cardiovasculaire (HR = [1,01-1,82]) (7). L’événement cardiovasculaire le plus fréquent survenant à l’initiation d’un traitement bronchodilatateur est l’insuffisance cardiaque, dont le risque varie en fonction du type de bronchodilatateur utilisé : il est plus important avec les Laba qu’avec les Lama.

Cette augmentation du risque d’événement cardiovasculaire lors de l’initiation d’un traitement bronchodilatateur de longue durée d’action est confirmée par une deuxième étude de cohorte (8). À partir d’une base de données de 284 220 patients porteurs de BPCO, elle a comparé 37 719 patients présentant une BPCO hospitalisés pour pathologie cardiovasculaire dans les 30 jours suivant l’initiation d’un traitement par Laba ou Lama à un groupe contrôle de 146 139 sujets. L’initiation d’un Laba est associée à une augmentation de 50 % du risque d’hospitalisation pour pathologie cardiovasculaire (HR = [1,35-1,67]), et celle d’un Lama à une majoration de 52 % (HR = [1,28-1,80]). À l’opposé, la poursuite de ces traitements au-delà du 30jour est associée à une diminution des événements cardiovasculaires sévères.

Une augmentation des infarctus

Un troisième essai s’est focalisé sur le risque d’infarctus du myocarde à l’initiation d’un traitement bronchodilatateur. À partir d’une base de données de 1 036 119 patients traités par bronchodilatateurs inhalés, il a comparé dans une étude cas témoin 11 054 patients ayant présenté un infarctus du myocarde et 47 815 contrôles appareillés. L’utilisation de bêta-2 agonistes est associée à une augmentation du risque d’infarctus, qu’ils soient de courte (RR = 1,20 ; IC = [1,10-1,32]) ou de longue durée d’action (RR = 1,30 ; IC = [1,05-1,62]), alors que celle des Lama ne l’est pas (9).

Une quatrième étude s’est intéressée au risque cardiovasculaire de l’association de deux bronchodilatateurs de longue durée d’action. À partir d’une cohorte de 62 348 patients d’une population générale (présentant donc peu de comorbidités cardiovasculaires), elle a comparé, à l’aide d’un score de propension, les patients traités par bronchodilatateurs restant en monothérapie à ceux passant en bithérapie, avec un suivi d’un an. L’ajout d’un deuxième bronchodilatateur de longue durée d’action a été associé non à une augmentation du risque d’infarctus, d’arythmie ou d’accident vasculaire cérébral, mais à une faible majoration du risque d’insuffisance cardiaque (RR = 1,16, HR = [1,03-1,30]), y compris dans la population largement majoritaire d’environ 97 % de sujets sans antécédent d’insuffisance cardiaque (10).

Ainsi, si le risque d’effet cardiaque des bronchodilatateurs de longue durée d’action apparaît faible, notamment pour les Lama, pour les patients dépourvus d’antécédent cardiovasculaire, une attention particulière doit être portée aux patients présentant un antécédent ou des facteurs de risque d’insuffisance cardiaque, notamment lors de l’initiation d’un traitement et lors de l’emploi d’une combinaison de bronchodilatateurs.

CHU de Toulouse
(1) Salpeter SR et al. Chest 2004 ;125:2309-21
(2) Farne HA, Cates CJ. Cochrane Database Sys Rev 2015;10:CD008989
(3) Lies Lahousse et al. Lancet Respir Med 2016;4:149-64
(4) Arnaudis B et al. Clin Res Cardiol 2012;101(9):717-26
(5) Vestbo J et al. Lancet 2016;378:1817-26
(6) Agabiti N, Maria Corbo G. Eur Respir J 2017;49:1700370
(7) Aljaafareh A et al. SAGE Open Medicine 2016 4:1-5
(8) Wang MT et al. JAMA Intern Med. 2018;178(2):229-38
(9) Lee CH et al. Scientific Reports (2017) 7(1):17915
(10) Suissa S et al. Eur Respir J 2017;49(5):1602245

Pr Michel Galinier et Dr Roger Escamilla
En complément

Source : Bilan Spécialiste