Syndrome coronarien aigu

Durée de la double antiagrégation plaquettaire

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Publié le 21/06/2018
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Les patients hospitalisés pour syndrome coronarien aigu (SCA) ont habituellement un bilan anatomique par coronarographie suivie d’une revascularisation par angioplastie. Une double antiagrégation plaquettaire (DAPT) est mise en place dès l’admission pour deux indications, le SCA et l’implantation de stent. Mais pour quelle durée ?

« Le SCA récent et la pose de stent ont longtemps été la double justification d’une DAPT (aspirine + clopidogrel) de neuf à douze mois. Les études CURE (1) et PCI-CURE (2) montraient un bénéfice de la DAPT jusqu’à 12 mois après un SCA, et que la pose d’un stent, surtout actif, imposait une DAPT prolongée. La situation était simple, avec une DAPT d’un an pour tous les patients admis pour un SCA. Cette attitude change. Le traitement peut être plus court ou plus long selon le profil du patient », résume le Pr François Schiele (Besançon).

Des arguments pour la réduire...

Dans l’étude CURE, le bénéfice était maximal les premiers mois, mais moins évident ensuite. De plus, les stents actifs dits de 2e génération ont des caractéristiques mécaniques, des doses et durées de diffusion du traitement actif qui permettent de limiter la durée de la DAPT à trois mois. « Le dogme de la durée fixe d’un an de la DAPT ne tient plus, ni en raison du SCA ni en raison de l’implantation de stent actif. Une durée plus courte s’envisage chez les patients à haut risque hémorragique ; une durée plus longue, si le risque thrombotique prédomine », explique le Pr Schiele.

Quels patients sont à haut risque hémorragique ? D’abord ceux sous anticoagulants oraux (de 10 à 15 % des SCA), pour fibrillation auriculaire par exemple. Ajouter une double antiagrégation au traitement anticoagulant fait courir un très haut risque hémorragique. La Société européenne de cardiologie préconise dans ce cas de réduire la DAPT au strict nécessaire (d’un à six mois), puis d’associer clopidogrel et anticoagulant jusqu’au 12e mois. La dose d’anticoagulant est réduite quand le traitement antiplaquettaire est associé. Après un an, seul l’anticoagulant à pleine dose est recommandé.

Pour les autres, le haut risque hémorragique est estimé à partir de l’histoire clinique – antécédent d’hémorragie cérébrale ou d’autres hémorragies spontanées, patients très âgés fragiles – ou à l’aide d’un score comme PRECISE-DAPT (3) – âge, antécédents d’hémorragie cérébrale ou de saignement spontané, leucocytes, hémoglobine, créatinine. La clinique ou un score permettent de décider de la durée de la DAPT après un SCA (de trois à douze mois).

Enfin, une désescalade de l’intensité de la DAPT est en discussion « Des études sont en cours pour évaluer l’intérêt après quelques semaines d’un “switch” du prasugrel ou ticagrélor, qui inhibent de 95 à 100 % du récepteur P2Y12, vers le clopidogrel, qui n’en inhibe que 50 % », rapporte le Pr Schiele.

... et pour la prolonger

Les arguments pour prolonger la DAPT existent aussi, notamment en cas de risque ischémique prédominant.

Le surcroît d’événements thrombotiques à l’arrêt de la DAPT à 12 mois, constaté dans les études de registre comme dans les essais cliniques randomisés, fait discuter l’intérêt de prolonger la DAPT pendant plusieurs années après un SCA (4, 5).

Deux études, DAPT et PEGASUS, ont promu l’idée de réévaluer à un an la DAPT en cas de risque de saignement faible et de haut risque de thrombose. Une DAPT bien tolérée peut être poursuivie (clopidogrel ou ticagrélor) jusqu’à trois ans supplémentaires.

Identifier les patients candidats à une DAPT prolongée est crucial. L’étude randomisée DAPT (6) chez des patients ayant un stent (après un SCA ou non) proposait à un an de continuer la DAPT (pendant un à trois ans) ou de l’arrêter. Un score de risque identifiant les risques thrombotiques et ischémiques (âge, tabac, diabète, infarctus multiples et stents coronariens multiples) en a été déduit. Il permet de sélectionner les candidats à une DAPT prolongée au-delà d’un an.

L’étude PEGASUS-TIMI (7) chez des patients à haut risque de thrombose montre les effets de l’extension à trois ans d’une DAPT par aspirine et ticagrélor : réduction importante des événements thrombotiques, surrisque d’hémorragies non majeures et tendance non significative à la diminution de la mortalité. Les critères d’inclusion dans PEGASUS peuvent donc servir à identifier les patients pour une DAPT prolongée.

Enfin, l’étude COMPASS (8) montre qu’ajouter une faible dose d’anticoagulant chez des patients à risque thrombotique élevé et hémorragique faible donne les mêmes résultats que prolonger la DAPT.

« Le challenge des années à venir sera de mieux cerner les critères de risques de saignement et de thrombose pour mieux définir les malades chez qui poursuivre un traitement antithrombotique par DAPT ou anticoagulant », conclut le Pr Schiele.

D’après un entretien avec le Pr François Schiele, cardiologue au CHU de Besançon
(1) The Cure Investigators. N Engl J Med 2001 Aug;345(7):494-502
(2) The Cure Investigators. Lancet 2001 Aug;358(9281):527-33
(3) PRECISE-DAPT Study Investigators. Lancet 2017 Mar;389(10073):1025-34
(4) Charlot M et al. Eur Heart J2012 Oct;33(20):2527-34
(5) Ho PM et al. JAMA 2008 Feb;299(5):532-9
(6) Mauri L et al. NEJM 2014 Dec;371(23):2155-66
(7) Bonaca MP et al. J J Am Coll Cardiol 2017 Sep;70(11):1368-75
(8) Eikelboom W et al. N Engl J Med 2017 Oct;377(14):1319-1330

Dr Sophie Parienté

Source : Bilan Spécialiste