«Tu enfanteras dans la douleur », dit la Genèse. Après des milliers d’années, où en sommes-nous de la douleur ? Jusque dans les années 1970, les interventions sans anesthésie chez le nourrisson sont monnaie courante, l’arsenal thérapeutique quasi nul sous prétexte d’un système nociceptif immature le rendant insensible à la douleur. Les opioïdes, pourtant connus depuis l’Antiquité, ne sont que très peu utilisés, considérés à tort comme dangereux, à risque de toxicomanie, de mésusage les rendant peu populaires. La douleur de la personne âgée, du cancer, de la fin de vie, la douleur des soins et celle de l’enfant sont insuffisamment traitées voire ignorées. Comment avons-nous basculé d’une douleur salvatrice, rédemptrice à une « culture anti-douleur » ?
La prise de conscience du phénomène douloureux
Les progrès en recherche fondamentale ont permis de mieux comprendre comment fonctionnait la douleur. Dans les années 1970, les chercheurs découvrent la théorie du Portillon de Melzack et Wall qui chamboule les théories : la douleur n’est pas un simple circuit réduit à une agression périphérique transmise par les nerfs nociceptifs à la moelle puis au cerveau. Le mécanisme serait plus complexe agissant comme une barrière dans le système de transmission somatique de telle sorte que les signaux de douleur peuvent être modulés avant qu’ils ne déclenchent une perception ou une réponse. On découvre parallèlement qu’il existe différentes douleurs dont le traitement ne peut être identique : la douleur par excès nociceptif, la douleur neuropathique et la douleur psychogène.
S’ajoute à ces découvertes celle des récepteurs opioïdes endogènes, les endorphines, qui vont permettre de mieux comprendre le mécanisme d’action de la morphine. Grâce au développement de la neuro-imagerie et aux découvertes pharmacologiques, une prise de conscience du phénomène douloureux amène à ne plus considérer la douleur comme une fatalité.
C’est dans ce contexte qu’en décembre 1994 le rapport Neuwirth va permettre un virage dans la lutte contre la douleur définissant les droits du patient. Pour le Pr Patrice Queneau, ce rapport va permettre « un réveil pour la prise en charge de la douleur des enfants et des personnes vulnérables ». À la suite de ce rapport, l’assouplissement de la prescription des morphiniques avec la disparition des carnets à souche va considérablement améliorer la prise en charge thérapeutique.
En parallèle, l’apparition des pompes intrathécales en 1981 et surtout la découverte de la forme à libération prolongée de la morphine dans les années 1990 vont particulièrement faciliter sa prescription. Les co-antalgiques (antispasmodique biphos- phonates, kétamine, MEOPA), les alternatives thérapeutiques telles que la neurostimulation transcutanée, la radiothérapie conventionnelle, la chimiothérapie palliative sont autant d’armes thérapeutiques qui vont peu à peu transformer la prise en charge des douleurs.
Un cadre législatif
Si la recherche évolue, les lois manquent. Le cadre législatif va se préciser par les plans gouvernementaux anti-douleurs puis par la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002 dont l’article L 1110-5 précise « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur… ». Aujourd’hui, la lutte anti-douleur est devenue un marqueur de la qualité des soins. Il n’y a pas eu stricto sensu de « révolution thérapeutique » dans le domaine de la douleur, mais plutôt une révolution des mentalités.
Les dates clés
› 1981. Première pompe intrathécale implantable.
› 1986. Création par l’OMS de l’échelle à trois paliers de la douleur.
› 1996. Tous les établissements de soins doivent mettre en place des structures spécialisées dans le domaine de la douleur.
› 1999. Loi garantissant le droit à l’accès aux soins palliatifs.
› 2008. Autorisation des pompes par Administration Intrathécale de Médicaments (AIM) pour les douleurs chroniques intenses réfractaires.
› 2010. La loi HPST instaure la traçabilité dans l’évaluation de la douleur à l’hôpital.
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