De notre correspondante
T OUTE l'ambiguïté du débat sur le devenir de l'embryon reposerait-elle sur un malentendu : les quelques cellules en question dans la fécondation in vitro (et les recherches ou les destructions dont elles peuvent être l'objet) doivent-elles porter le nom d'embryon, alors que l'on ignore si un bouton embryonnaire apparaîtra ? « S'il n'y a pas transfert in utero , il n'y aura ni implantation ni développement: avant une semaine, nous ne sommes que dans la potentialité et il faudrait peut-être repousser d'autant le terme d'embryon », estime ainsi le Pr Jean-François Mattei. Une ambiguïté née aussi de la représentation que semble se faire le public de la première étape de la fécondation in vitro : « A trop vouloir simplifier pour vulgariser, les scientifiques se sont piégés en parlant d'embryon plutôt que de se lancer dans les détails sur les zygotes ou les morulas, mais les mots vont maintenant plus loin que ce qu'ils auraient souhaité », souligne le Pr Mattei, qui constate l'étonnement du public, lors des journées portes ouvertes des laboratoires : « Quand on leur montre les ampoules contenant les cellules souches, certains s'attendaient à voir un bébé miniature ».
Des règles pour vivre ensemble
Que l'on parle de « matériel reproductif » ou « d'être humain potentiel », le problème du devenir de ces entités a été posé à travers les interventions de médecins et de chercheurs sur les fécondations in vitro mais aussi sur les clonages. Mais « la question éthique s'inscrit dans une démarche collective. Au-delà de nos positions philosophiques, morales, politiques ou religieuses personnelles, nous avons le devoir de trouver des règles pour vivre ensemble : nous pouvons revendiquer nos choix individuels, mais ils ont des conséquences sur les autres, la notion d'altérité entraîne une notion de responsabilité », estime le Pr Mattei. Responsabilité lorsque la morale personnelle d'un médecin risque de priver un malade d'un traitement dont il a besoin, mais responsabilité aussi vis-à-vis des générations futures : « Nous demandons aujourd'hui au législateur de lever un interdit sur l'embryon pour des raisons scientifiques, mais lorsque nous disposerons d'autres moyens pour soigner, l'interdit restera toujours levé, avec tous ses risques ».
D'où la nécessité d'impliquer la société dans ces choix. Une intervenante, Irène Théry (sociologue chargée par le gouvernement du rapport sur la réforme du droit de la famille), s'est même étonnée de ce que le débat bioéthique se déroule en dehors du débat sur la famille. Il s'agit en effet à ses yeux d'un enjeu de société : c'est à elle et non aux médecins et aux chercheurs de poser les limites... ou de les repousser, en considérant par exemple que si les premières cellules méritent le respect, elles ne peuvent tout de même pas être considérées comme un être humain. A la société aussi de réhumaniser l'acte de reproduction : « Auparavant, en cas d'infertilité, on recourait à un ami ; maintenant, le don de sperme est anonyme et on parle à ce propos de "matériau interchangeable de reproduction". » Elle considère comme une déshumanisation l'impossibilité pour les enfants nés de ces fécondations in vitro d'accéder à leur histoire, au même titre que l'anonymat et les silences qui entourent les abandons et les adoptions d'enfants. « Ces différents dilemmes sont relationnels », explique-t-elle, car ils se placent dans un contexte de vie en société. Il lui semble donc nécessaire d'établir des liens entre les questions qui se posent dans le domaine bioéthique et celles qui relèvent des autres domaines de la vie sociale. « Quand on cherche des femmes pour avoir des ovocytes et faire des expériences sur les embryons, ce n'est pas pour les embryons que c'est épouvantable, dit-elle, mais pour la femme ; ce n'est pas l'essence de l'embryon qui est en cause mais la situation extérieure. »
Un lieu pour l'éthique
Le développement de nouvelles pratiques médicales suscite beaucoup de questions, tant de la part des soignants que des patients et de leur entourage, les uns et les autres éprouvant le besoin d'en parler en dehors du temps des soins.
D'où l'idée du Pr Jean-François Mattei et du Centre d'enseignement et de recherche d'éthique médicale, de créer un espace éthique au sein de l'institution hospitalière. Les locaux, en cours d'aménagement, sont financés par l'Assistance publique de Marseille, le conseil régional, le conseil général et la communauté des communes. Largement ouverts sur le public et les professionnels extérieurs, ils seront un lieu de rencontre entre médecins, usagers, psychologues, juristes, philosophes, et sans doute théologiens, toujours très présents dans les problèmes éthiques.
Sur 500 m2, ils se composeront d'un « espace de déambulation », à l'image des anciens forums, facilitant rencontres et discussions, sur lequel s'ouvriront trois lieux distincts : le premier accueillant le public et les soignants, le deuxième proposant un centre de recherche et de documentation multimédia avec postes de travail et le troisième, des salles de conférence et de réunion. Avant même l'ouverture des locaux, des commissions et des groupes de réflexion pluridisciplinaires ont été mis en place sur le handicap, l'urgence, le dépistage néonatal ou la procréation médicalement assistée, et des colloques organisés, comme celui qui portait sur le devenir de l'embryon.
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