L E 7 avril, jour anniversaire de la création de l'Organisation mondiale de la santé en 1948, les autorités sanitaires, et les médecins en premier lieu, sont conviées à « s'intéresser aux divers obstacles s'opposant à la santé mentale et aux solutions qui existent pour améliorer la situation ». Jusqu'à la fin de l'année, cette journée de la psychiatrie sera relayée, à travers la planète, par une campagne de sensibilisation appelant à dire « Non à l'exclusion, oui aux soins ».
5 des 10 troubles les plus invalidants
« Rares sont les familles qui ne seront pas confrontées aux problèmes des troubles mentaux ou qui n'auront pas besoin d'aide et de soins pendant une passe difficile. Or, nous feignons l'ignorance ou nous ignorons délibérément la réalité », souligne le Dr Gro Harlem Brundtland. En 2001, 400 millions de personnes souffrent de troubles mentaux ou neurologiques, voire de problèmes psychosociaux liés par exemple aux toxicomanies. Et, « par-delà la souffrance et le manque de soins, il y a les préjugés, la honte, l'exclusion et, plus souvent, la mort ». Pourtant, poursuit la directrice générale de l'OMS, « nous avons les connaissances scientifiques pour aider les gens à moins souffrir ». Mais « les Etats sont coupables » de ne pas mettre « à la disposition de leur population les moyens de traitement adéquats ». En outre, « les violations des droits de l'homme dans les hôpitaux psychiatriques, l'insuffisance des services communautaires de santé mentale, l'iniquité des régimes d'assurance et la discrimination à l'embauche ne sont que quelques exemples parmi d'autres ».
Ainsi, un jeune de 15 ans ou moins sur cinq, dans le monde, éprouve des troubles mentaux et cérébraux plus ou moins graves. En Amérique latine et dans les Caraïbes, 17 millions des 5-17 ans ont des problèmes assez sérieux pour qu'on leur prodigue des soins. A Alexandrie, 10 % des écoliers égyptiens souffrent de dépression et 17 % des élèves de dernière année du secondaire sont en proie à l'anxiété.
Aucune nation n'est épargnée. Une étude de l'OMS dans 27 pays riches et pauvres montre que la schizophrénie est sans frontières. L'alcoolisme non plus. En Russie, 350 000 personnes en meurent chaque année. A certains, les pensées sombres ou déplaisantes semblent si atroces que le suicide apparaît comme une délivrance. Toutes les 40 secondes, une personne met fin à ses jours. L'épilepsie, avec 45 millions d'hommes et de femmes touchés, est universelle, bien qu'elle soit plus fréquente dans les régions en développement. Au total, l'OMS constate que « 5 des 10 troubles les plus invalidants sont de nature psychiatrique » : la dépression unipolaire, l'alcoolisme, la psychose maniaco-dépressive, la schizophrénie, qui aliène 45 millions de femmes et d'hommes, et les troubles obsessionnels compulsifs. C'est trop, beaucoup trop, « l'heure des comptes est venue », s'exclame le Dr Gro Harlem Brundtland.
En France : prévention tous terrains
En France, à la veille de la Journée OMS, le ministère de Bernard Kouchner tient aujourd'hui un colloque intitulé « Informer les usagers en santé mentale : qu'est-ce que cela change ? ». L'objectif est de rappeler à tous, et aux généralistes en particulier, que la santé mentale a pour cadre la cité. Grâce à des équipes pluridisciplinaires, composées d'éducateurs, d'assistants sociaux, de psychiatres et de psychologues, des soins précoces doivent être dispensés à ceux qui ont décroché de la vie quotidienne et en souffrent, en vue de les réinsérer dans la société. C'est pourquoi la prévention primaire est un devoir. Il revient à la psychiatrie, avec ses 12 000 praticiens, dont la moitié exerce dans le public, fort de 900 secteurs pour adultes et 300 pour enfants, de travailler main dans la main avec ceux qui côtoient des populations susceptibles de « perdre pied ».
Les contacts « juste pour voir » dans les crèches, les écoles, les entreprises et les maisons de retraite sont riches d'enseignements pour le psychiatre et fructueux pour les enfants, les adolescents, les salariés et les retraités. Dans tous les cas, le praticien a pour tâche de rendre les personnels d'encadrement concernés sensibles aux difficultés psychologiques de ceux qui les entourent. Faciliter l'adaptation du sujet au milieu de vie est une démarche utile. Auprès d'un responsable d'établissement pour personnes âgées, le spécialiste en psychiatrie évoquera, par exemple, la nécessité de développer des activités festives et d'éveil pour écarter toute inhibition psychiatrique chez certains pensionnaires.
En même temps, il est indispensable de repérer les troubles dès le début de leur apparition. A la maternelle, le médecin et l'infirmière scolaires alerteront les parents du gamin qui « n'en finit pas de crier », laissant au généraliste ou au pédiatre le soin d'intervenir en première ligne. Au lycée, l'élève « aux fléchissements scolaires » retiendra l'attention : les intervenants s'emploieront à faire entendre au père et à la mère concernés que ce n'est pas la faute d'une « école défaillante » ou d'un quelconque « problème d'ordre pédagogique ». Chez l'adulte névrotique, psychotique, ou présentant des troubles graves de la personnalité, la prévention secondaire nécessite un diagnostic du spécialiste. Quant à un retraité qui perdrait la mémoire en raison de son âge, il n'est jamais inutile, là encore, de porter un diagnostic médical ; les troubles en question peuvent résulter de troubles de l'humeur qu'un traitement antidépresseur fera disparaître.
Enfin, pour ce qui est de la prévention tertiaire pour les malades chroniques, comme les adultes atteints de schizophrénie ou de pathologies qui perturbent l'équilibre familial, les efforts des pouvoirs publics se font attendre. Les centres d'accueil et de crise (CAC), qui permettent aux patients de bénéficier d'un séjour hospitalier alternatif, sont en nombre insuffisants. Là où ils existent, leur budget est à la baisse ; Paris, avec sa quinzaine de CAC, en témoigne, alors que, comme toute mégapole, la capitale provoque un trop-plein de troubles psychiques.
On s'accorde à reconnaître que le budget de la santé mentale est trop faible et que les professionnels sont mal rémunérés. Sans compter qu'à terme la chute de la démographie médicale programmée va s'accompagner d'une diminution, dans la même proportion (50 %), du nombre des psychiatres. Dans dix ans, prévient la profession, les hôpitaux de secteur manqueront de praticiens.
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