De Jarvik à Carmat, 50 ans de progrès vers le cœur artificiel total bioprothétique

Par
Publié le 06/06/2016
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : Montage : S. Toubon/AFP

Entre la première pompe d'assistance ventriculaire posée en 1966 et la performance des Pr Alain Carpentier, Christian Latrémouille (HEGP) et Daniel Duveau (CHU de Nantes) associés aux ingénieurs de Matra Défence, il s'est écoulé près de 50 ans de progrès continus et d'innovations qui ont permis de rentrer progressivement dans le thorax du patient les composants de ce qui allait devenir un cœur artificiel.

Que de chemin parcouru ! Alors que le cœur Carmat affiche aujourd'hui un volume de 0,75 l et un poids de 950 g, les premiers dispositifs d'assistances ventriculaire étaient aussi imposants que des pianos à queue. Entre ces deux extrêmes les médecins et ingénieurs ont dû opérer une série de mini-révolutions successives.

Qu'il s’agisse du Thoratec ou des premières déclinaisons du Jarvik, les premiers dispositifs, installés à l'extérieur du corps, prenaient en charge l'ensemble de la fonction du cœur à l'aide d'une bruyante console d'animation pneumatique délivrant un flux sanguin via des canules plongeant dans l'oreillette, la racine de l'aorte, le tronc de l'artère pulmonaire et la pointe du ventricule gauche. Les pionniers de cette époque sont les américains Oscar Robert Jarvik et Howard Frazier, tandis qu'en France, les premiers chirurgiens à employer ces appareils sont les Pr Christian Cabrol, Iradj Gandjbakhch et, déjà, Alain Carpentier. Dans environ un cas sur 5, on observait un retour à la normale des fonctions des différents organes, et l'assistance ventriculaire pouvait être ôtée, mais dans la majorité des cas, l'appareil devait rester branché jusqu'à ce qu'un greffon se libère...  s'il s'en libère un jour.

Les espoirs déçus de l'Abiocor

Par la suite, les versions successives du Jarvik se sont efforcées de mettre de plus en plus d'éléments à l'intérieur du thorax. Mais aussi miniaturisés soient ils, les Jarvik ne méritent pas le nom de cœur artificiel puisqu'ils nécessitent toujours des compresseurs extracorporels. Une nouvelle génération d'assistance cardiaque entièrement implantée, remplaçant les compresseurs externes par des turbines fonctionnant en circuit fermé, est développée par Oscar Howard Frazier début 2000.

Le premier véritable essai de prothèse de cœur intracorporelle date du début des années 2000. La société américaine Abiomed propose un premier cœur artificiel tentative, l'Abiocor, qui n'est testé que sur 14 patients, entre 2001 et 2004, avant qu'un moratoire de la FDA ne vienne sanctionner une série d'accidents thrombo-emboliques.

Les Français, ni vus ni connus

Parallèlement à la mise au point de ces dispositifs américains, des Français travaillent en toute discrétion au futur cœur Carmat, sous l'impulsion du Pr Alain Carpentier qui a pris la tête du département de Chirurgie Cardio-vasculaire de l’hôpital Broussais en 1982. Désireux de relancer le programme de greffe cardiaque du service, il constate alors que « 9 malades sur 10 ne pouvaient pas recevoir de nouveau cœur, faute de greffon. Cela m'a convaincu qu'il fallait un cœur artificiel », se souvient-il.

Le principal problème rencontré par le Jarvik à l'époque et sa fâcheuse tendance à se recouvrir de caillots sanguins (thrombose), surtout au niveau des valves mécaniques. Le Pr Carpentier propose donc, dans un premier temps, la biologisation des cœurs artificiels américains déjà existants. « Au départ, mon but n'était pas de créer mon propre cœur artificiel, mais simplement d'adapter mes valves biologiques (les valves biologiques Carpentier Edwards réputées non thrombogéniques N.D.L.R) sur les dispositifs américains d'assistance valvulaires déjà existants, précise-t-il. Je me suis retrouvé embarqué dans cette aventure car on a vite compris qu'il ne suffisait pas de disposer de matériaux biologiques pour résoudre le problème de thrombose, il fallait aussi que l'hémodynamique soit normale. »

Pour mimer l'hémodynamique d'une circulation naturelle, les ingénieurs de Carmat conçoivent un appareil qui reproduit le comportement d'un cœur naturel avec 2 ventricules séparés, 2 pompes pulsatiles, 4 valves, une membrane bioprothétique, l'électronique embarquée chargée de reproduire les régulations sympathiques et parasympathiques et la chambre de compliance intégrée.

Bleu blanc rouge

Le Pr Carpentier est « cocardier » comme il aime le rappeler, il lui fallait donc des partenaires en France pour mettre au point un cœur artificiel bien français. La chose est rendue possible par la rencontre avec Jean-Luc Lagardère en 1993, qui accepte d'ajouter à ses passions pour le Paris Saint-Germain et les courses hippiques, un soutien pour le projet de cœur artificiel. Il fournit des ingénieurs chargés de transformer le premier prototype testé chez l'animal en dispositif susceptible d'être implanté chez un patient humain. « J'avais émis deux conditions : maintenir le secret autour du projet et faire un cœur 100 % français, précise le Pr Carpentier, Nous voulions éviter que les Américains sachent ce que nous préparions et qu'ils mettent les bouchées doubles. »

Une nouvelle phase d'expérimentation doit bientôt commencer, menée sur 15 patients. La liste des centres impliqués dans cette deuxième phase n'est pas encore arrêtée, bien que le CHU de Toulouse ait affirmé jeudi 6 juin le CHU être « le tout premier centre à avoir été choisi pour effectuer l’implantation du cœur artificiel Carmat en sa phase II ». Ce qui est en revanche certain, c'est que les promoteurs de Carmat souhaitent intégrer des centres étrangers.

Si la phase II confirme les bons résultats obtenus sur les 4 patients opérés entre 2013 et 2015, le cœur artificiel total ne sera plus qu'à quelques pas de devenir une réalité pour l'ensemble des patients insuffisants cardiaques qui attendent désespérément qu'un greffon soit disponible.


Source : Le Quotidien du médecin: 9502