MUSIQUE CLASSIQUE
PAR OLIVIER BRUNEL
L A solution adoptée par le Châtelet pour cet « Otello » de donner l'uvre en version de concert, avec une mise en espace des personnages, a souvent fait ses preuves lors de ces dernières années. Elle a l'avantage pour le théâtre de l'économie du coût d'une production qui aurait pu priver la saison d'un ouvrage lourd à monter et bien souvent pour le spectateur celui d'échapper au délire d'un metteur en scène et d'un décorateur abusant de leurs pouvoirs respectifs.
Le parti pris de Daniele Abbado, responsable de cette version semi-scénique, paraît cependant étrange que de mettre l'orchestre au grand complet sur scène dans un théâtre qui possède une fosse, exposant ainsi les spectateurs à une surenchère sonore et à entendre trop de défauts de la part d'un orchestre qui, de loin, n'est pas parmi les meilleurs, dirigé de surcroît par un chef peu habile dans ce répertoire. Cependant, la hiérarchie a été respectée plaçant les chanteurs au-dessus de la masse orchestrale mais les obligeant à être couverts en permanence par celle-ci, et les choristes encore au-dessus sur des gradins.
Daniele Abbado, en très grande partie grâce au talent de l'éclairagiste Guido Levi qui a si bien saisi l'action dramatique de la pièce, a réussi dignement à donner vie au drame à quelques petites exceptions près dues en grande partie à la réticence scénique de certains chanteurs et au choix ou à l'absence de choix de certaines tenues, notamment celles de Desdemona.
Malgré leurs défauts respectifs, les solistes se sont bien tirés de cet exercice, réussissant même à donner une homogénéité à l'ensemble. Verdi a un temps pensé appeler son opéra « Iago ». Le baryton britannique Anthony Michaels-Moore aurait justifié cela ; des trois protagonistes, il était le seul parfaitement à l'aise vocalement dans son rôle, le seul à connaître l'usage du chant en mezza voce même si l'on peut déplorer que son timbre ne soit pas assez sombre pour rendre justice à la noirceur du personnage. C'est lui qui a emporté l'adhésion du public si l'on en juge par les applaudissements.
Curieux choix que celui de Karita Mattila, une des plus belles voix de soprano du moment, pour un rôle qu'elle déclare dans une interview donnée à Diapason en avril « l'ennuyer plutôt » et encore « ne réussissant pas à la motiver ». La Finlandaise peu aidée ici par ses tenues, que ce soient ses voiles rose pastel ou sa tunique blanche façon baptême à la campagne, est plus à l'aise dans les rôles d'héroïnes wagnériennes, straussiennes avec sa grande voix aux aigus impeccables mais peu vibrants, que dans l'expression de l'amour juvénile au premier degré de la simplicité qu'exprime Desdemona. Elle a cependant réservé de beaux moments de dramatisme dans son duo avec Otello à la fin du second acte et sa Chanson du Saule suivi de l'Ave Maria était un grand moment de chant même s'il était dépourvu d'incandescence.
José Cura, ténor argentin qui s'est distingué dans des rôles véristes comme Turiddu de « Cavalleria rusticana » de Mascagni, a été très rapidement propulsé vers des rôles trop lourds pour son expérience et pour son type vocal. Il en fait aujourd'hui les frais car son Otello est loin d'être satisfaisant. S'il donne le change au premier acte, son Esultate ! d'entrée éclate comme une trompette, son tempérament bouillant s'apparente bien à la première colère du Maure mais il montre vite ses limites, notamment dans le phrasé des passages en mezza voce dans le médium dont il ne soutient pas la ligne avec un cantabile insuffisant et surtout, dans les scènes clés du troisième acte, une méconnaissance du style verdien souvent remplacé par des accents véristes bien peu en situation.
Bien qu'une silhouette dans l'opéra, le Cassio du jeune ténor italien Cesare Catani, avec un timbre rayonnant et un style impeccable, était un meilleur exemple de chant verdien.
On a dit le problème acoustique posé par l'orchestre ; s'y ajoute l'incapacité de Myung-Whun Chung à se situer au niveau du génie de cette partition, ce que l'on savait depuis les représentations bastillanes de 1990, pourtant données avec un meilleur orchestre que le routinier Philharmonique de Radio France. Naviguant entre le très fort et le piano sans beaucoup s'intéresser aux nuances intermédiaires, le chef coréen a donné une lecture assez triviale de l'uvre, aggravée par le fait que l'orchestre ne se fondait pas comme prévu par la tradition dans une fosse.
Le Chur préparé par Norbert Balatsch, lui, a donné sa grandeur aux nombreuses interventions du peuple dans le drame.
L'ensemble pourtant avait une certaine tenue et l'on était heureux d'entendre une uvre qui, par sa lourdeur, est souvent écartée du répertoire des théâtres lyriques.
Châtelet (01.40.28.28.40). Prochains programmes du cycle Verdi : « Falstaff », direction John Eliot Gardiner, mise en scène Ian Judge les 25, 27 avril et 2 mai à 19 h 30 ; le 29 avril à 16 h. « Messa da Requiem » par l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam, direction Riccardo Chailly le 31 mai à 20 h.
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