C OMME beaucoup de démarches qui partent d'un bon sentiment, le boycottage des yaourts Danone par les cantines de quelques municipalités solidaires des salariés de LU, filiale de la firme, est contre-indiqué.
Il ne faut pas être sorti de Polytechnique pour relever, comme Lionel Jospin lui-même l'a fait, qu'une baisse du chiffre d'affaires du géant agroalimentaire se retournerait contre ses employés qui, comme ceux de LU, seraient eux aussi menacés de licenciement. Bien entendu, cela ne veut pas dire non plus que Danone soit terrifié par l'initiative de quelques maires, lesquels insistent d'ailleurs sur le caractère symbolique du boycottage. Tout au plus aggrave-t-il le problème de communication que la firme doit résoudre et qu'elle ne négligera pas si elle veut garder ses parts de marché.
La direction de Danone avait tempêté contre la révélation, il y a quelques mois, de son « plan social » par le quotidien « le Monde ». Elle ne l'a pas modifié pour autant et en a confirmé les dispositions malgré le temps de réflexion qui lui était imparti au lendemain de la publication de l'article. On s'étonnera de ce qu'il n'y ait pas eu, dans cette direction, quelqu'un qui eût assez d'autorité pour réclamer un assouplissement des mesures. Car Danone perd peut-être de l'argent avec LU, mais ce n'est pas une société menacée de faillite. Elle fait encore d'assez gros bénéfices pour pouvoir adopter un système généreux de reclassement des salariés.
Comme Marks & Spencer, Danone se conduit donc comme un monstre froid qui n'a pas le moindre égard pour ses employés. Les précédents de licenciements massifs, les attaques contre la mondialisation, l'impatience de l'opinion publique et de la presse au sujet de multinationales qui ne songent qu'à satisfaire leurs actionnaires, rien, dans cette accumulation d'éléments qui forment une très mauvaise réputation, n'a fait reculer les dirigeants de Danone, dont Antoine Riboud, salué on ne sait combien de fois comme un patron exemplaire et plutôt proche des socialistes.
Peut-on indiquer à la direction de Danone qu'une conduite exécrable n'est pas un argument de vente et que, dans ses décisions, elle doit inclure leurs retombées négatives pour ses produits ? On a du mal à comprendre qu'elle ait fait fi de tous les inconvénients que présente la fermeture pure et simple de LU ; ou tout au moins qu'elle n'ait pas prévu le reclassement de la plupart des ouvriers, sinon tous, dans ses autres usines ; ou qu'elle n'ait pas, par exemple, assorti le licenciement d'indemnités généreuses. Bref, il y avait cent manières d'éviter à Danone la levée de boucliers nationale que la firme a provoquée.
Une sorte de rigidité dans le raisonnement financier, une indifférence à l'égard de la détresse d'autrui, et peut-être une avarice coupable auront eu raison de la logique sociale, supplantée par la logique financière.
Faut-il que la communauté nationale se donne des armes pour combattre ce genre de comportement ? Il vaut mieux, comme le souhaite le Premier ministre, laisser les syndicats négocier avec la direction. Si nous adoptions des lois plus sévères à l'égard du patronat, nous courrions le risque d'obliger des chefs d'entreprise en faillite à payer quand même leurs salariés. Nous ne pouvons pas non plus faire des lois sélectives pour les sociétés qui gagnent de l'argent mais licencient avant d'en perdre. En revanche, les syndicats peuvent rappeler à Danone qu'il ne peut pas avoir la paix sociale au sein du groupe s'il se contente d'envoyer à la misère les employés de LU. C'est un argument qu'une direction, si près de ses sous et si soucieuse de ses actionnaires soit-elle, entendra cinq sur cinq.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature