Ataxie héréditaire : six patients fortement améliorés par du coenzyme Q1O

Publié le 09/04/2001
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De notre correspondant
à New York

«U N garçon de 8 ans, qui était jusqu'à présent confiné au fauteuil roulant, a pu marcher seul après le traitement, et une femme âgée de 20 ans est devenue capable, pour la première fois, de travailler à l'extérieur de chez elle », affirme le Dr Salvatore DiMauro, neurologue à l'université de Columbia, à New York, qui décrit ses travaux dans « Neurology » du mois d'avril.

L'ataxie héréditaire (ou ataxie spino-cérébelleuse héréditaire) constitue un large groupe de maladies neurologiques familiales qui affectent la coordination. Plusieurs causes génétiques et anomalies moléculaires ont déjà été identifiées. La découverte de DiMauro et coll. est un peu le fruit du hasard. En 1989, des chercheurs ont décrit, chez quelques patients, un syndrome d'encéphalomyopathie mitochondriale associée à un déficit musculaire en coenzyme Q10 (CoQ10) ; ce syndrome est caractérisé par la triade suivante :
1) myoglobinurie récurrente ; 2) atteinte cérébrale (crises épileptiques, ataxie, retard mental) ;
3) fibres effilochées rouges et lipoïdose à la biopsie musculaire.
Lors de l'investigation d'une patiente affectée de ce syndrome, et comparant sa biopsie musculaire avec d'autres biopsies musculaires de patients affectés d'autres troubles, DiMauro et coll. ont eu la surprise de trouver dans un échantillon témoin un taux extrêmement bas de CoQ10. Cet échantillon appartenait à un patient de 25 ans affecté d'une ataxie cérébelleuse familiale de cause inconnue, sans fibres effilochées rouges et lipoïdose dans le muscle.

Déficit musculaire profond en coenzyme Q10

Les chercheurs ont alors dosé le taux de CoQ10 dans le muscle d'un frère et d'une sœur du patient, tous deux également atteints d'ataxie, ainsi que chez trois autres patients ayant une ataxie cérébelleuse apparemment autosomique récessive, de cause inconnue. Résultat : ces cinq autres patients présentaient aussi un déficit musculaire profond en CoQ10, avec des concentrations 70 % plus basses que la normale.
Ces six patients ont une ataxie cérébelleuse ayant commencé dans l'enfance ou à l'adolescence (troubles de l'équilibre, incoordination des mouvements et troubles de la parole) et certains présentent aussi des crises épileptiques. Tous ont, en outre, une atrophie du cervelet.
« Nous avons décidé d'essayer de leur donner du CoQ10 », déclare le Dr DiMauro dans un communiqué. Les patients ont alors pris des suppléments de CoQ10 tous les jours à des doses allant de 300 mg à 3 000 mg. Ces suppléments sont disponibles en pharmacie et dans les boutiques de diététiques américaines. « Les six patients se sont améliorés avec le CoQ10 », affirme le Dr DiMauro. « Ils sont devenus plus forts, leur ataxie s'est améliorée et les crises se sont arrêtées ou espacées. » Un an après avoir commencé le traitement, les patients se sont améliorés de 25 % sur un test d'ataxie mesurant l'équilibre, la parole et le mouvement. Alors que, avant le traitement, cinq des patients ne pouvaient pas marcher, tous le pouvaient avec l'aide d'un déambulateur après un an de traitement.
« Nos résultats suggèrent que le déficit en CoQ10 pourrait être une cause importante de certaines formes d'ataxie familiale et devrait être envisagé lorsque ce trouble est diagnostiqué », observe le Dr DiMauro. « Lorsque de faibles concentrations sont trouvées dans le muscle, un traitement substitutif pour remplacer le CoQ10 absent devrait être agressif et être commencé précocement ».
Le CoQ10, appelé aussi ubiquinone, est un composant de la chaîne du transport d'électron à l'intérieur de la mitochondrie ; il joue un rôle clé dans la production d'énergie à l'intérieur des cellules, et il pourrait aussi agir comme un antioxydant et un stabilisateur des membranes. Le CoQ10 se trouve aussi en petite quantité dans divers aliments.
On connaissait déjà trois formes d'ataxie héréditaire due à des dégâts oxydatifs : la maladie de Friedreich, l'abêtalipoprotéinémie et l'ataxie avec déficit isolé en vitamine E. L'ataxie avec déficit isolé en CoQ10 pourrait être une nouvelle forme d'ataxie héréditaire due à des dégâts oxydatifs.
Le Dr DiMauro et son équipe prévoient d'explorer maintenant pourquoi ces patients sont carencés en CoQ10. Les patients atteints d'une ataxie de cause génétique connue ne sont probablement pas candidats au traitement par le CoQ10, selon le Dr DiMauro, car la cause de leur maladie n'a probablement rien à voir avec le CoQ10. Mais cela reste à confirmer dans des études supplémentaires. Pour le moment, il semble que le traitement CoQ10 soit surtout approprié pour les patients qui ont une forme inexpliquée d'ataxie. Cela représente un bon nombre de patients, selon le Dr DiMauro, mais combien ? On l'ignore. « Cela pourrait ne pas être rare », remarque le Dr DiMauro. Les neurologues « me disent souvent que leurs patients ne tombent pas dans une des catégories génétiques identifiées ».

« Neurology », avril 2001, p. 849.

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6895