Vallot raconte ainsi dans le Journal de la santé du roi sa nomination comme premier médecin de Louis XIV: « Le dimanche, huitième de juillet, mil six cent cinquante deux, le roi étant à Saint-Denis avec son armée m'a fait la grâce, après la mort de M. Vaultier, de me recevoir en la charge de premier médecin, m'ayant fait appeler deux jours auparavant de Paris, pour servir sa Majesté en cette dignité. Mes lettres furent expédiées le huit du même mois, et le lendemain j'ai prêté serment de fidélité entre les mains de Sa dite Majesté, avec protestation d'employer toutes les lumières que Dieu m'a données, toutes les expériences que je me suis acquises par un long travail et une continuelle application à la médecine l'espace de vingt-huit ans, et ma propre vie pour la conservation d'une vie si précieuse. Ayant reçu cet honneur par la grâce de Dieu, par le choix et agrément de Leurs Majestés, et par l'entremise de Monseigneur le cardinal de Mazarin, qui leur a représenté la réputation que je m'étais acquise en ma profession et les bons et agréables services que j'avais si utilement rendus au roi au traitement de sa petite vérole,en l'année mil six cent quarante sept. Je me suis entièrement consacré à la connaissance du tempérament et des inclinations particulières du roi, ayant pris une forte et utile résolution m'employer tous les moments de ma vie pour me rendre capable de pouvoir prévenir tous les accidents dont il pourrait être menacé ».
Vallot, né selon certaines sources à Reims en 1594 et selon d’autres en 1596 à Montpellier, après avoir été le médecin d’Anne d’Autriche, était fort en cour depuis qu’il avait en 1647 soigné avec succès la petite vérole du Roi-Soleil, imposant ses traitements contre les autres médecins et notamment Vautier, alors premier médecin du roi et à qui il succéda dans cette charge.
Gui Patin, un ennemi pour la vie
Vallot comptait de nombreux adversaires parmi les médecins qui ne se privèrent pas de faire des gorges de sa nomination, à commencer par Gui Patin, son plus fidèle ennemi, doyen de la faculté de Paris qui l’accusa d’avoir acheté sa charge pour 30 000 livres à Mazarin.
Par la suite, Gui Patin connu pour son goût pour la polémique et ses traits satiriques ne va cesser de s’en prendre à Vallot. Ainsi, celui qui, selon son contemporain l’homme de lettres Vigneul-Marville, « avait dans le visage l’air de Cicéron et dans l’esprit le caractère de Rabelais », s’en prend encore une fois, en 1655, à l’archiâtre qui soigne alors Louis XIV à Fontainebleau. Dans ses Lettres, Patin écrit : « Je viens d'apprendre que le Mazarin, dès qu'il fut arrivé à Fontainebleau renvoya Guénault à Paris, ne trouvant pas le roi suffisamment malade pour avoir tant de médecins; joint qu'il ne veut pas avoir créance en celui-ci, tant à cause qu'il est une créature du prince de Condé, qu'à cause de l'antimoine, et de ce que Guénault est un homme scélérat et dangereux auquel il ne faut pas se fier. La reine l'avait fait venir, se souvenant qu'il avait vu le roi en sa petite vérole, avec Vaultier, il y a huit ans. Aujourd'hui le Mazarin défend Vallot, et tâche de le remettre aux bonnes grâces du roi et de la reine, en disant qu'il n'a rien fait que par son ordre : c'est qu'on lui faisait prendre des eaux de Forges, sous ombre de le rafraîchir, afin de l'empêcher d'aller à la chasse, et que personne ne lui parlât en l'absence du Mazarin, tandis qu'il était à La Fère ».
Vallot n’a cure des dires de Patin et écrit dans son Journal : « Les premiers médecins sont toujours fort enviés des autres et particulièrement de ceux qui sont en passe d’aspirer à une telle dignité ».
La « grande maladie » du roi en 1658
Une nouvelle passe d’armes va opposer les deux hommes à l’occasion de la « grande maladie » que contracte le roi à Calais en 1658. Dans le cadre de la campagne militaire menée contre les Pays-Bas espagnols, Louis XIV qui n’a pas encore 20 ans, décide d’aller inspecter les champs de bataille, notamment autour du fort de Mardyck . En ce mois de juin 1658, la chaleur est étouffante, les dunes sont remplies de cadavres à demi enfouis dans le sable et les eaux sont infestées… Vallot ne réussit pas à dissuader le roi d’entreprendre son expédition : « Comme l'air de tout le pays était corrompu, et que ceux qui suivaient la cour se trouvaient incommodés d'un rhume fort opiniâtre et accompagné de plusieurs fâcheux incidents, je priais Sa Majesté avec beaucoup d'instance de vouloir user de quelques précautions ».
Mais le souverain n’en fait qu’à sa guise et ressent les premiers effets de la fièvre le 1er juillet. Un simple rhume selon Mazarin… Le 2 juillet, cependant l’état du roi s’aggrave : douleurs lombaires, pouls inégal, sensation de froid aux extrémités, moments de délire. Le 3, c’est pire encore, le roi est pris de convulsions et, note Vallot dans son Journal, « de bouffissures qui ressemblent à celles que l’on remarque après la morsure d’un serpent. La langue est très épaisse et noire, la gorge enflammée. ». Vallot décide alors de saigner le roi et lui fait tirer « trois grandes poêlettes de sang du bras droit, et durant la saignée les faiblesses augmentèrent de telle manière que cela donnait de l'épouvante à tous ceux qui le voyaient dans cet état ».
La crainte d’une issue fatale
Les saignées vont les deux jours se multiplier . Vallot écrit: « Voyant que le mal augmentait, je fus obligé de lui faire tirer du sang de l'autre bras », « Sur le midi, je lui fis donner un lavement. Le reste de la journée tous les accidents continuèrent de la même force, et même, on peut dire qu'ils se rendirent plus fâcheux, ce qui obligea d'en venir à une troisième saignée sur le soir ».
Le 5 juillet, deux autres médecins de la Cour, Guénaut et Daquin, arrivent à Calais, sur l’ordre de Mazarin pour assister Vallot et s’opposent à toute purgation. Le 6, on utilise des vésicatoires pour tenter d’atténuer la bouffissure sans autre résultat que de provoquer des ampoules et soulever l’épiderme. Vallot qui commence à craindre une issue fatale note que le roi « laisse écouler involontairement, dans le lit, ses urines et ses excréments ».
Le vin émétique, ultime panacée
Tous les traitements administrés ayant été voués à l’échec, il ne reste plus qu’une dernière solution selon Vallot : le vin émétique, préparation à base d’antimoine dont l’usage était banni par les défenseurs de la médecine galénique, Gui Patin en tête, farouchement opposés à tout ce qui était médecine chimique. « les Pharmaciens de vos quartiers mentent aussi impudemment que les nostres, afin de débiter leurs drogues. Voici la vérité du vin émétique, afin qu'ils n'en facent acroire à personne », écrit ainsi le doyen de la Faculté de médecine de Paris.
Vallot - qui avait administré l’année précédente une dose mortelle d’émétique à un malade nommé Gargan , ce qui lui valut le surnom de Gargantua – se décida donc le 8 juillet, après avoir eu l’accord de Mazarin, à faire ingérer au roi une potion à base d’antimoine mélangé avec du vin et de la tisane laxative. Quatre heures après avoir bu cette décoction, Louis XIV vomit à plusieurs reprises et se rend une quinzaine de fois sur la chaise percée. La fièvre diminue. Au fil des heures, le roi retrouve ses forces et, quelques jours plus, tard est définitivement tiré d’affaire. Le vin émétique a-t-il eu raison de la maladie ou, tout simplement, le roi, véritable force de la nature, a-t-il réchappé au typhus spontanément comme cela advient parfois… Bien difficile à dire…
Les sarcasmes de Gui Patin
Sauf pour Gui Patin qui ne croit pas une seconde à l’effet miraculeux du vin émétique sur la guérison du roi : « Ç'a été une fièvre continue-putride qui avait besoin seulement de la saignée et d'une diète rafraîchissante, avec de légers purgatifs, sans aucun besoin de vin émétique, comme ils publient qu'on lui a donné. S'il en a pris, apparemment ils ne lui en auront pas donné plus d'une once dissoute dans quelque infusion de séné. Et ce que notre maître Guénaut a fait mettre dans la Gazette de son ami Renaudot, n'a été que pour canoniser ce poison, que les charlatans appellent un remède précieux et qu'on pourrait plus véritablement appeler pernicieux ».
Gui Patin va encore poursuivre Vallot de ses sarcasmes en 1669 après la mort d’Henriette de France, fille d’Henri IV et épouse de Charles 1er, n’hésitant pas à lui imputer sa mort : « Les charlatans tâchent avec leurs remèdes chimiques de passer pour habiles gens et plus savants que les autres ; mais s'y trompent bien souvent, et, au lieu d'être médecins, ils deviennent empoisonneurs » et d’ajouter une épigramme perfide à l’encontre du premier médecin de Louis XIV :
« Le croiriez-vous, race future,
Que la fille du grand Henri
Eût, en mourant, même aventure
Que feu son père et son mari.
Tous trois sont morts par assassins :
Ravaillac, Cromwell et médecin.
Henri, d'un coup de bayonnette,
Charles finit sur le billot,
Et maintenant meurt Henriette,
Par ignorance de Vallot. »
Une oraison funèbre assassine
Antoine Vallot, qui était aussi surintendant du Jardin Royal (le Jardin des Plantes actuel) mourut en ce lieu le 9 juin 1671. D’assez mauvaise constitution, il avait été toute sa vie sujet à un asthme opiniâtre dont il avait de fréquentes crises accompagnées de fièvre, d’oppression et de crachements de sang. C’est à la suite d’une crise plus violente que les autres qu’il rendit l’âme et son éternel rival, Gui Patin, se dépêcha de lui tresser une oraison funèbre assassine : « Vallot est au lit, fort pressé de son asthme; peu s'en fallut qu'il n'étouffât avant-hier au soir, mais il fut délivré par une copieuse saignée ; il a reçu l'extrême-onction, c'est pour lui rendre les genoux plus souples pour le grand voyage qui lui reste à faire. Il n'a été qu'un charlatan en ce monde mais je ne sais ce qu'il fera dans l'autre, s'il n'y vient cireur de noir à noircir, ou de quelque autre métier où on puisse gagner beaucoup d'argent, qu'il a toujours extrêmement aimé. Pour son honneur, il est mort au Jardin Royal, le 9 août, à six heures de l'après-midi ; on ne l'a point vu mourir, et on l'a trouvé mort en son lit. »
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