« Une prise de conscience citoyenne et un changement de comportement général sont indispensables vis-à-vis du bon usage des antibiotiques, à l’instar de ce qui s’est passé pour le réchauffement climatique », souligne le Pr Céline Pulcini, infectiologue (CHU de Nancy), ayant participé au récent rapport Carlet sur la préservation des antibiotiques.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la pénicilline a sauvé des milliers de vies menacées par le staphylocoque doré. La résistance apparaîtra quelques années après l’élargissement de son utilisation. Mais c’est l’apparition d’antibiotiques à large spectre, comme les céphalosporines de 3e et 4e générations, l’association amoxicilline-acide clavulanique et les fluoroquinolones, très largement prescrits, qui vont être particulièrement générateurs de résistance bactérienne.
Un tournant décisif dans les années 1990
L’histoire de l’antibiorésistance prend un tournant décisif avec, dans les années 1990 l’émergence des SARM (staphylocoques dorés résistants à la méthicilline), puis celle des PSD (pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline). Ces deux bactéries déterminent en effet la mise en place des actions politiques avec le plan antibiotiques 2001-2005 marqué par la campagne, « les antibiotiques, c’est pas automatique », poursuivi par le plan 2007-2010 et la campagne « si on les utilise à tort, ils deviendront moins forts », puis par le plan national d’alerte 2011-2016.
Dans les années 2000, la dissémination en ville des entérobactéries produisant des BLSE (bêta-lactamases à spectre étendu), constitue un phénomène d’autant plus préoccupant?qu’il s’agit de bactéries commensales du tube digestif pouvant diffuser dans l’environnement via les stations d’épuration, et beaucoup plus aisément transmissibles entre humains que les SARM, plutôt retrouvés à l’hôpital. Enfin, toujours dans les années 2000, l’arrivée en France des entérobactéries productrices de carbapénèmases, souvent importées de l’étranger, et résistant à presque tous les antibiotiques, achève de donner des cheveux blancs à la communauté médicale.
Depuis, diverses épidémies hospitalières de ces entérobactéries se sont déclarées, grevées d’une mortalité élevée (30 % de mortalité dans la littérature, 13 % en France), même si leur transmission reste, pour l’instant, sous contrôle, du fait de mesures draconiennes, comme l’isolement prolongé du patient et de tous les sujets contacts.
L’absence de mise sur le marché d’antibiotiques avec de nouveaux modes d’action depuis la fin des années 1980, ne fait qu’aggraver la situation. D’où l’obligation de recourir aux « vieux » antibiotiques. Ainsi, pour traiter les entérobactéries productrices de carbapénèmases, on revient à l’emploi de la Colimycine IV que l’on n’utilisait plus depuis des années, avec une toxicité rénale non négligeable. Autre problème, malgré plusieurs campagnes sur le bon usage, l’emploi des antibiotiques à large spectre comme les céphalosporines de troisième génération et les carbapénèmes repart depuis cinq ans à la hausse, notamment chez les personnes âgées, comme le constate une alerte de l’ANSM en 2014.
De plus en plus de bactéries résistantes
Cependant, selon Celine Pulcini, « la France n’est pas dans le cas de l’Italie et de la Grèce, pays où les impasses thérapeutiques sont fréquentes ». Mais il existe de plus en plus souvent dans l’Hexagone des bactéries résistantes à presque tous les antibiotiques, par exemple celles produisant des carbapénèmases. Or, pointe le Pr Pulcini, « sans antibiotiques efficaces, l’espérance de vie va chuter, nous allons nous retrouver dans les conditions de l’ère pré-antibiothérapie, et il va être extrêmement risqué de réaliser des gestes invasifs comme les chirurgies lourdes, les transplantations ou les chimiothérapies anticancéreuses ».
Selon l’étude Burden BMR de l’InVS, en France, 158 000 infections à BMR sont survenues en 2012, dont près de 16 000 infections invasives. Le nombre de décès attribués à ces infections était de 12 500 dont 2 700 liés à des infections invasives.
Devant cette situation, l’Organisation mondiale de la santé a fait voter à l’Assemblée générale de la santé une résolution stipulant que les états membres devaient développer un plan national contre l’antibiorésistance d’ici 2017. En France, le rapport Carlet, (septembre 2015), liste les actions phares à mener dans une approche s’intéressant à la médecine humaine, mais également vétérinaire, à l’agriculture, et à l’environnement.
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