La difficile évaluation du coût du cancer colo-rectal en France
LE QUOTIDIEN DU MEDECIN - Pourquoi vous être intéressé au coût du cancer colo-rectal en France ?
Bernard SELKE* - Le cancer colo-rectal est, en France, le plus fréquent des cancers, les deux sexes confondus. Ainsi, en 1995, 33 405 nouveaux cas ont été recensés. Il est responsable d'environ 16 000 décès par an. Ces chiffres vont très vraisemblablement s'aggraver, parce qu'il s'agit d'un cancer diagnostiqué en général tardivement, autour de 70 ans, et que la population vieillit.
Or les données de la littérature sur le coût macro-économique de ce cancer sont très pauvres, voire inexistantes dans le cas français, bien qu'il existe de nombreuses publications consacrées à l'utilité économique de son dépistage. Les extrapolations économiques à partir de données de l'étranger se révèlent difficiles, notamment parce que les systèmes de santé ne sont pas comparables.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons défini le cancer colo-rectal à partir de la CIM 10 (10e version de la classification internationale des maladies), qui différencie le cancer du côlon (coté C18), le cancer de la jonction recto-sigmoïdienne (C19) et le cancer du rectum (C20). Nous avons tenu compte des seules tumeurs malignes, excluant ainsi les tumeurs in situ, les tumeurs bénignes et les tumeurs d'évolution imprévisible.
Coûts directs et indirects
D'un point de vue économique, nous avons différencié deux types de coûts en rapport avec ces pathologies : les coûts directs, bien connus des médecins, concernent essentiellement le recours aux soins (hospitalisations, consommation de médicaments, d'examens, consultations, etc.) ; les coûts indirects, un peu plus difficiles à appréhender, représentent l'ensemble des dépenses non directement liées à une procédure médicale. Ces derniers peuvent être envisagés selon deux perspectives : celle de l'assurance-maladie, qui tient compte des indemnités journalières et des pensions d'invalidité, et celle de la société, qui évalue les journées de travail perdues du fait des arrêts de travail, des mises en invalidité et des décès prématurés. Cette dernière perspective correspond à une perte de production globale.
Pour estimer les coûts directs, nous avons utilisé le PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information), qui évalue l'activité hospitalière publique et privée, et l'enquête EPPM-IMS, qui évalue l'activité en ambulatoire à partir d'un panel de médecins de ville, généralistes et spécialistes.
Les coûts indirects ont, quant à eux, été estimés à partir de la cohorte GAZEL, constituée d'environ 20 000 employés volontaires de la société EDF-GDF.
Quels sont les résultats que vous obtenez en termes de coûts directs ?
Pour l'année 1998, il y a eu en France 68 715 séjours hospitaliers motivés par le cancer colo-rectal en tant que diagnostic principal, dont 37 690 en public (55 %). Ces données confirment que la prise en charge du cancer colo-rectal n'est pas réalisée exclusivement dans le secteur public. Tous séjours hospitaliers confondus, le cancer du côlon représente 60 % des séjours, contre 32 % pour le cancer du rectum et 8 % pour le cancer de la jonction recto-sigmoïdienne. Ces séjours sont ensuite classés par le PMSI dans plus de 30 GHM (groupe homogène de malades).
Pour en évaluer le coût, nous avons utilisé l'échelle nationale de coût qui, pour chaque GHM, attribue un coût de référence calculé sur un échantillon d'hôpitaux. Le calcul aboutit à un coût total d'hospitalisation de 2,67 milliards de francs. Il faut souligner qu'il ne s'agit là que d'un ordre de grandeur, et non d'une mesure précise. Les coûts ambulatoires s'élèvent pour leur part à 46,5 millions de francs en 1998, dont 9,4 millions de francs pour les prescriptions médicamenteuses. Les coûts de prise en charge hospitaliers et ambulatoires ne sont donc pas du même ordre.
Qu'en est-il des coûts indirects ?
Les indemnités journalières ont représenté en 1998 pour l'assurance-maladie 161,5 millions de francs et les pensions d'invalidité, 377,4 millions, soit un coût total indirect de 538,9 millions de francs. Ce résultat est loin d'être négligeable, dans la mesure où l'on considère souvent le cancer colo-rectal comme une pathologie du sujet âgé. C'est oublier un peu vite que de 10 à 15 % des diagnostics portent sur des patients âgés de moins de 60 ans, pour la plupart encore actifs.
Dans une perspective plus globale, en se fondant sur le salaire annuel moyen net établi par l'INSEE pour 1998 (124 000 F), on obtient une perte de production potentielle pour la société de l'ordre de 3,39 milliards de francs. Respectivement 49 % et 42 % de ce coût sont imputables aux mises en invalidité et aux décès prématurés.
Comment peut-on interpréter ces chiffres ?
Ils sont à considérer avec une certaine prudence pour des raisons qui tiennent aux sources utilisées. Ainsi, le PMSI, établi dans une optique de gestion, ne permet pas de calcul précis du coût d'une pathologie, a fortiori en fonction du stade évolutif de celle-ci. Faute de données spécifiques, le coût des séjours en cliniques privées a été estimé à partir du même échantillon que les hôpitaux publics. Cela reflète sans doute imparfaitement la réalité. Ensuite, les données de l'enquête EPPM-IMS ne permettent pas de tenir compte des examens complémentaires et des soins paramédicaux effectués. Enfin, la cohorte GAZEL fournit des données relatives à la durée des arrêts de travail par pathologie, mais elle ne reflète pas l'ensemble de la population active française.
Cette étude donne toutefois quelques grandes indications. Elle confirme le poids financier considérable que représente le cancer colo-rectal, tant pour l'assurance-maladie que pour la collectivité. Elle souligne également l'importance de la prise en charge hospitalière (publique et privée) dans cette pathologie. Elle met enfin en évidence des coûts indirects non négligeables, très souvent occultés dans les études d'évaluation du coût des pathologies.
* CRESGE : centre de recherches économiques, sociologiques et de gestion, Lille.
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