« DEPUIS UNE VINGTAINE d’années, nous assistons, dans le domaine de la médecine et plus particulièrement de l’ophtalmologie, à une escalade technologique, principalement liée à la nécessité de mettre à la disposition des patients les méthodes les plus performantes, explique le Dr Michaël Assouline. Quand j’ai démarré mon internat, les examens dans les cabinets se faisaient encore majoritairement avec une lampe à fente et un ophtalmoscope direct. Aujourd’hui, pour équiper un cabinet avec du matériel permettant d’offrir au patient une prise en charge diagnostique "complète", il faut compter entre 400 000 et un million d’euros. C’est une tendance lourde qui rendra pratiquement impossible un exercice isolé dans un cabinet de ville. Cela rend tout aussi illusoire un exercice autonome en secteur 1 ».
Pour le diagnostic des pathologies rétiniennes maculaires, par exemple, autrefois on se contentait d’un fond d’œil, car le plus souvent il n’y avait pas de traitement efficace à la clé. Aujourd’hui, les possibilités élargies de traitement (injections intravitréennes dans la DMLA, pelage vitréo-rétinien dans les membranes ou les trous maculaires) imposent de délivrer un diagnostic exact au moyen d’un tomographe rétinien par cohérence optique de haute résolution (OCT Spectral Domain). « Si l’on veut offrir au patient des soins « en accord avec l’état actuel de la science », on est obligé, en pratique d’avoir un rétinographe couleur et un OCT dans son cabinet. Cet investissement de 60 000 à 150 000 euros impose de mutualiser ces équipements avec un nombre suffisant de médecins », estime le Dr Assouline, en ajoutant que l’obsolescence rapide (trois à cinq ans) de ces équipements et des frais de maintenance élevés conditionnent des tarifs d’examen de l’ordre de 80 à 150 euros.
L’exemple du glaucome est également significatif selon lui : « Auparavant, le fond d’œil et la mesure de la pression intraoculaire étaient suffisants. Actuellement, le dépistage et la surveillance imposent également selon les cas la mesure de l’épaisseur et de la réponse mécanique de la cornée, l’analyse de la densité des fibres rétiniennes par OCT, l’étude statistique du champ visuel automatisé, le Doppler pulsé rétinien… ».
Ce même souci d’excellence se retrouve dans les examens à réaliser avant tout acte de chirurgie réfractive. « On ne peut pas se permettre de passer à côté d’une contre-indication sous-jacente, comme un kératocône, par manque de matériel d’investigation, sous peine de négligence "fautive". Le diagnostic du kératocône était clinique il y a 20 ans, mais fait appel aujourd’hui, si l’on veut être le plus performant possible, à une plate-forme sophistiquée (topographie d’élévation, OCT antérieur, aberrométrie du front d’onde, analyse de la réponse biomécanique cornéenne) dont le budget total avoisine les 250 000 euros. C’est une autre tendance de fond : le développement de nouveaux standards technologiques liés aux impératifs de responsabilité médicale ».
Le problème de la démographie.
Une autre évolution majeure, selon lui, est le développement de la surspécialisation. « Désormais, il est très difficile pour un ophtalmologiste, notamment dans les grandes villes, de garder une activité "généraliste". Les patients, qui sont de mieux en mieux informés, cherchent des praticiens ayant un haut niveau de compétences dans tel ou tel domaine de la spécialité. Cette surspécialisation autour d’une thématique, sans doute inéluctable, s’accompagne parfois d’une perte relative de compétence dans les autres domaines. Cela peut conduire à une multiplication des examens complémentaires, destinée à réduire les risques dans les domaines de la spécialité qu’il maîtrise moins bien », estime le Dr Assouline.
Il souligne enfin que l’évolution de la démographie médicale et le vieillissement de la population contribuent également à modifier en profondeur l’activité des ophtalmologistes. « À l’heure actuelle, environ trois ophtalmologistes partent en retraite pour un nouvel arrivant alors que, dans le même temps, le nombre de patients ne cesse d’augmenter. En 1989, la moyenne nationale en ophtalmologie était de 17 patients par jour. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des ophtalmologistes très sérieux qui examinent entre 45 et 60 patients par jour, indique le Dr Assouline, en insistant sur l’impossibilité, aujourd’hui, de s’occuper seul d’un patient de A à Z. « Cela devient très compliqué de travailler ainsi. Aujourd’hui, l’ophtalmologie est donc obligée de se tourner vers la pratique du travail aidé, grâce à une collaboration de plus en plus systématique avec des orthoptistes salariés ou libéraux, laquelle génère mécaniquement un accroissement des plateaux techniques d’examens ».
Cette inflation des moyens d’investigation débouche également, selon le Dr Assouline, sur une escalade technologique dans les traitements, dont la chirurgie de la cataracte au laser femtoseconde, est le dernier exemple. « Les plateformes laser femtoseconde coûtent en effet 4 à 10 fois plus cher que les phacoémulsificateurs à ultrasons qu’elles sont destinées à remplacer, pour un gain objectif d’efficacité et de sécurité relativement modeste pour l’instant. Il deviendra de plus en plus difficile pour les ophtalmologistes d’arbitrer seuls les coûts impliqués par ces améliorations incontestables (bien que parfois marginales) du service médical rendu », souligne le Dr Assouline.
D’après un entretien avec le Dr Michaël Assouline, directeur médical du centre Iéna Vision (Paris) et cofondateur de la clinique de la Vision (Paris).
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