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Dossier

Santé publique

Obésité : place à l'action

Par Charlène Catalifaud - Publié le 19/05/2023
Obésité : place à l'action

Les enfants des ouvriers ont quatre fois plus de risque d'être obèses que ceux des cadres
BURGER / PHANIE

En décembre, la Pr Martine Laville, responsable du centre intégré de l’obésité aux Hospices civils de Lyon, s'est vue confier une mission sur la prévention et la prise en charge de l'obésité. Son rapport, riche de 40 recommandations, a été rendu le 27 avril aux ministres de la Santé et des Solidarités. Au programme : prévention, accès aux soins, recherche et outre-mer.

En France, la prévalence de l'obésité de l'adulte s'élève à17 % en 2020, alors qu'elle était de 8,5 % en 1997. Et la prévalence a été multipliée par quatre depuis 1997 parmi les 18-24 ans (1). Face à ce constat, « il y a urgence à agir », estime la Pr Martine Laville, responsable du centre intégré de l’obésité aux Hospices civils de Lyon, à qui le ministre de la Santé François Braun et celui des Solidarités Jean-Christophe Combe ont confié en décembre une mission sur la prévention et la prise en charge de cette maladie chronique aux causes multiples.

« Ma mission est plus large que la feuille de route démarrée en 2019 et qui touche maintenant à sa fin. Au-delà de l'organisation des soins, Jean-Christophe Combe a souhaité qu'elle englobe les aspects sociétaux, alors que les plus précaires sont les plus touchés, explique la médecin lyonnaise. Les enfants des ouvriers ont quatre fois plus de risque d'être obèses que ceux des cadres, c'est frappant. »

Mieux suivre l'incidence

Dans son rapport, elle détaille 40 recommandations articulées autour de quatre objectifs : 1. Diminuer l’incidence de l’obésité en agissant prioritairement sur les plus défavorisés, en renforçant la prévention ; 2. Mieux soigner en augmentant le nombre de patients accédant à des soins adaptés ; 3. Investir dans la recherche et l’innovation ; 4. Investir prioritairement les outre-mer. « Les ministres porteront, dans les prochains mois, une feuille de route coordonnée et ambitieuse permettant de poursuivre ces objectifs », est-il écrit dans un communiqué du ministère de la Santé.

Après trois mois de recherche et une centaine d'interviews, la professeure de nutrition dresse un premier constat : « Tout a déjà été documenté sur l'obésité. » Et de citer le rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l'obésité en Europe de mai 2022 et celui de deux sénatrices, présenté en juin. « Il faut désormais avancer. La France a des atouts et une communauté mobilisée, mais nous ne devons pas tarder, car la situation s'aggrave et les inégalités sociales se creusent », souligne-t-elle. Pour mettre en œuvre ses préconisations - qu'elle a souhaitées pragmatiques -, elle appelle à une stratégie portée par un comité interministériel, placé sous la responsabilité de la Première ministre, avec un plan sur au moins cinq ans.

Une de ses mesures phares consiste à mieux connaître l'incidence de l'obésité. « Nous manquons cruellement de données sur le fardeau de l'obésité. Nous n'avons pas de données exhaustives sur l'ensemble de la population », constate-t-elle. Pour pallier ce « retard colossal », elle propose que les données collectées lors des examens obligatoires chez les enfants, lors des futurs examens de prévention et au cours du service national universel (SNU) soient numérisées pour bénéficier d'un réel suivi.

Développer les actions locales

La Pr Laville veut agir sur l'environnement alimentaire des enfants. Le dispositif « La cantine à un euro » doit être mis en place là où il n’existe pas pour permettre aux plus défavorisés d'y avoir accès. La nutritionniste recommande par ailleurs d'évaluer l'impact de la taxe soda en vue de son évolution. « Elle est facile à appliquer mais peu efficace, considère-t-elle. Elle doit s'accompagner de mesures visant à éduquer la population et à inciter les industriels à être plus vertueux. » Elle prône aussi l'interdiction des publicités des produits de mauvaise qualité nutritionnelle aux horaires où les enfants regardent la télévision.

Les mesures de prévention de l'obésité infantile doivent cibler particulièrement les catégories sociales défavorisées. « De nombreuses actions voient le jour localement, mais manquent souvent d'un pilotage qui permettrait de coordonner les acteurs et de favoriser la réplication des actions probantes », précise la Pr Laville. Celles qui ciblent les enfants, les jeunes parents et l'éducation à la parentalité sont particulièrement pertinentes, poursuit-elle, citant le programme des 1 000 premiers jours. La lutte contre la sédentarité et l'éducation à l'alimentation font l'objet de deux missions distinctes.

Augmenter le nombre de spécialistes, une urgence absolue

Pour la nutritionniste, le fait de mieux soigner les patients doit d'abord passer par la reconnaissance de l'obésité en tant que maladie chronique et par l'instauration d'une prise en charge en affection longue durée (ALD) pour l'obésité de niveau 2 afin de faciliter l'accès aux traitements.

La prise en charge de l'obésité souffre, comme d'autres spécialités, d'un manque de soignants, et ce alors qu'elle évolue, avec l'arrivée de nouveaux médicaments et diverses expérimentations en cours dans le cadre du dispositif de l'article 51 sur l'innovation en santé (cf page 12). « L'augmentation du nombre de médecins spécialistes formés est une urgence absolue », lit-on dans le rapport. Concrètement, 130 postes doivent être ouverts pour le diplôme d’études spécialisées Endocrinologie-Diabète-Nutrition à la rentrée de septembre au lieu de 90, « avec une progression de 5 % par an pendant cinq ans », est-il écrit.

Des difficultés cumulées dans les outre-mer

« La recherche en France est en perte de vitesse, déplore par ailleurs la Pr Laville. À l'instar de certains pays voisins, elle doit investir davantage, et notamment dans les sciences humaines et sociales, essentielles dans l'obésité. » Elle recommande aussi de mettre en place un réseau national de recherche transdisciplinaire sur l'obésité avec un programme et un équipement prioritaire de recherche (PEPR). « Un point fort de la France toutefois, note la nutritionniste, c'est le réseau de recherche clinique Force labellisé F-Crin que je coordonne et qui a permis de fédérer une belle communauté (2). »

Quant aux régions d'outre-mer, elles cumulent de nombreuses difficultés. « Ceci conduit à une situation sanitaire globalement très dégradée, avec une forte prévalence d’obésité entraînant d’importantes complications », lit-on dans le rapport.

La Pr Laville recommande d'y renforcer les centres spécialisés d'obésité (CSO). « Nous devons les soutenir, quitte à les adosser à un CSO "parrain" de métropole », estime-t-elle. Dans le domaine de l'alimentation, des actions sont aussi à mener en prenant en compte les coûts plus élevés qu'en métropole et les lobbys de l'industrie du sucre. La Réunion se démarque néanmoins. D'importants efforts ont été faits et témoignent de l'efficacité d'une dynamique collective, salue la nutritionniste.

(1) A. Fontbonne et al, J Clin Med, 2023 . doi: 10.3390/jcm12030925.
(2) Porté par l’Inserm, F-Crin (French Clinical Research Infrastructure Network) renforce la compétitivité de la recherche clinique française à l’international, labellise les réseaux de recherche et facilite la mise en place d’essais cliniques académiques ou industriels.

C. C.