Dans l’après Covid-19, la santé publique ne peut se contenter d’un strapontin et doit investir le devant de la scène politique, scientifique et sociale, ont interpellé de nombreuses voix cette année.
« Notre système de santé publique a besoin d’un nouveau souffle », écrivaient dans « Le Monde » début septembre quatre responsables de Santé publique France, dont l’actuelle directrice Geneviève Chêne et son prédécesseur François Bourdillon. Le ministre de la Santé Olivier Véran lui-même aspirait au lendemain du Ségur à la mise en place d’une « santé publique forte pour mieux se préparer et mieux combattre les nouvelles crises qui ne manqueront pas de surgir et qui affecteront la santé des populations ». Et d’appeler à un second Ségur sur ce thème – pas inscrit pour l’heure à l’agenda.
Au-delà des professions de foi, comment refonder la santé publique ? Un colloque organisé par la Conférence des doyens des facultés de médecine et la Conférence des présidents d’université le 24 septembre dernier, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne à Paris, a ouvert de nouveaux horizons.
« Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille », dit Edgar Morin.« La santé publique, c’est la manière de vivre sur ces îlots et de les faire connaître », a présenté Laurent Chambaud, directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP). La santé publique n’est pas seulement la prévention, prévient-il. C’est toute l’organisation collective pour la santé, avec une dimension pluridisciplinaire et transversale, indispensable pour irriguer les diverses politiques publiques.
« La santé publique est mal comprise en France », déplore le Pr Antoine Flahault. Pourtant, la renforcer n’est pas un simple jeu intellectuel. Cela doit non seulement permettre de mieux gérer les épidémies, mais aussi de faire en sorte que les citoyens acceptent et s’emparent des recommandations, estiment les experts.
Revoir les formations
Comment ? La réponse financière n’est pas la seule, même si l’insuffisance des financements fléchés vers la prévention et la recherche est unanimement dénoncée – on considère que sur 100 euros qui financent la santé, six seulement vont à la prévention.
Repenser son enseignement et le recrutement des élèves est un levier majeur pour relancer la santé publique. La crise devrait voir « naître des vocations », parie Arnaud Fontanet, épidémiologiste et professeur de santé publique au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Un constat partagé par le Pr Didier Houssin de l’Académie nationale de médecine : « il faut mettre à profit cette pandémie pour attirer les jeunes, et si possible à l’échelle européenne », déclare-t-il.
Le défi est de recruter différents profils d’étudiants : « il faut attirer au-delà du monde médical et paramédical, ce ne doit pas être un domaine réservé aux médecins », estime le Pr Fontanet. Le Pr Flahault renchérit, en tant que directeur de l’Institut de santé globale de Genève : « nous sommes dans la faculté de médecine, mais seulement 20 % des étudiants viennent de médecine, et nous recourons à des compétences interdisciplinaires, droit, sciences humaines, anthropologie mais aussi économie ».
La France devrait en amont développer l’éveil à la santé publique à l’école, puis dans de nombreux cursus dans les universités (et pas seulement à l’hôpital), ceci dès la licence. Il s’agit ensuite d’assurer des débouchés, reprend Arnaud Fontanet. « La stratégie de traçage et d’isolement nécessite des métiers qui manquent. Hors crise, ces personnes, dont les fonctions de travailleurs sociaux seraient élargies à la santé, pourraient jouer un rôle dans la prévention, au plus près des territoires », poursuit-il.
Prévention sur les territoires
Le développement de la prévention dans les territoires est d’ailleurs une deuxième piste promue par l’épidémiologiste Dominique Costagliola. Cela ne va pas sans l’implication des citoyens et des associations dans la prise de décisions, défend-elle, déplorant le mépris de la démocratie sanitaire lors de la crise du Covid-19. « Les associations ne sont pas des faire-valoir : grâce à elles, la santé publique n’est pas “contraindre et punir”, mais “expliquer et faire ensemble” », insiste-t-elle. Faute de cela, c’est l’échec assuré : « On a considéré le dépistage comme un acte de biologie médicale : mais la stratégie dépister, tracer, isoler ne peut être un modèle unique à déployer sous la même forme en Seine-Saint-Denis ou en Creuse », fait-elle remarquer.
La santé publique doit enfin faire l’objet d’une culture partagée par chaque citoyen, ce qui suppose d’améliorer l’information, notamment celle véhiculée par les médias. « La crise devrait être l’occasion de mettre en exergue le rôle de la science. La communication a été très brouillée au printemps », déplore le Pr Fontanet, sans vouloir pour autant insulter l’avenir.
Et d’espérer qu’un travail de pédagogie pourra à long terme renforcer l’adhésion de la population, rendre obsolète toute décision verticale et brutale, et permettre enfin d’anticiper les crises.
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