LE QUOTIDIEN : Les médecins sont parfois réticents face aux recommandations de la HAS, jugées très lourdes. Comment améliorer leur appropriation ?
Pr DOMINIQUE LE GULUDEC : Le contenu de nos recommandations est rarement « challengé » car elles sont réalisées avec les professionnels mais aussi les patients. Mais il est vrai que certains documents sont très lourds. Quel médecin a le temps, une fois qu’il a travaillé ses 70 heures par semaine, de lire 30 pages sur un sujet donné à moins que ce ne soit sa pratique préférentielle ? C’est pourquoi nous avons développé depuis deux ans des « fiches mémo », qui synthétisent les recommandations, et sont plus faciles à s’approprier. Il faut que les professionnels s’en saisissent. Nous développons aussi des messages très courts sur ce qui est pertinent, ou pas. Exemple : « une sinusite aiguë non compliquée ne requiert pas de faire un scanner ».
Des sociétés savantes ou des médecins libéraux regrettent de ne pas être impliqués dans la mise au point de certaines recommandations. Que leur répondez-vous ?
Les sociétés savantes sont nombreuses et nous avons beaucoup d’interlocuteurs que nous ne pouvons pas tous intégrer. Quant aux médecins libéraux, je comprends qu’ils aient du mal à dégager du temps pour participer à ce type de groupe de travail d’autant que l’indemnisation que nous pouvons leur offrir (sur le taux d’une vacation hospitalière) n’est pas très valorisante. Mais leur participation serait extrêmement utile, nous sommes très preneurs ! Il ne faut pas uniquement un regard de médecins hospitaliers, il faut aussi un regard libéral. Mais cela nécessite d’y consacrer du temps.
Les thématiques abordés par la HAS (Lyme, sédation profonde et continue, autisme…) font souvent polémique. Pouvez-vous ignorer ce buzz médiatique et les critiques ?
Il s’agit là de notre plus-value : nous mettons autour de la table des personnes qui ont des sensibilités très différentes, au-delà d’être patients ou médecins. On nous accuse parfois d’être longs à produire nos recommandations, mais c’est parce que nous cherchons le consensus, que nous dépassionnons le débat en le ramenant sur le côté scientifique, médical, et de l’apport au patient.
Parfois cependant, vous n’êtes pas écoutés, comme quand vous aviez conseillé clairement le déremboursement des médicaments anti-Alzheimer…
Les associations de patients ont protesté très vigoureusement. Le ministère ne voulait pas être brutal dans sa prise de décision, mais il va la prendre cette année. Les patients, les aidants, les professionnels se sont habitués à l’idée. À cet égard, nous finalisons un guide qui va mettre l’accent sur des aides et des moyens thérapeutiques non médicamenteux dont nous savons qu’ils peuvent apporter un bénéfice aux patients atteints de maladies neurodégénératives. Le ministère a attendu ce guide et pourra s’en emparer en présentant le transfert des dépenses des médicaments anti-Alzheimer vers d’autres éléments du parcours du patient. Pour résumer, nous sommes les « conseilleurs », pas les payeurs.
Sur un sujet d’actualité polémique, le Lévothyrox, et l’éventualité de surprescriptions, comment pouvez-vous intervenir ?
Nous travaillons sur deux aspects : les thyroïdectomies et les hypothyroïdies frustes (chez les personnes âgées ou en surpoids), pour lesquelles, dans les deux cas, des surprescriptions sont possibles. Tenant compte des taux nationaux et régionaux, nous faisons une analyse de la littérature, afin de savoir s’il faut réactualiser nos recommandations et surtout les rediffuser, et revoir les bonnes pratiques. Le résultat de ce travail est attendu pour fin 2018.
La question des liens d'intérêt revient régulièrement sur le devant de la scène : comment y répondez-vous ? Et avez-vous du mal à trouver des experts ?
Nous travaillons sous le regard des citoyens et ne pouvons pas nous passer du contrôle rigoureux des conflits d’intérêts. Nous avons notamment un déontologue à temps plein. Il y a deux types d’experts pour la HAS : ceux des commissions réglementées qui évaluent les produits de santé, pour lesquels nous sommes extrêmement sévères car nous ne pouvons pas accepter des experts qui sont rémunérés par la société qui présente son produit en commission ; et ceux des groupes de travail, pour lesquels nous le pouvons. La transparence demeure un défi complexe, mais aussi une obligation.
Côté santé publique, quelles sont les priorités de la HAS ?
Nous travaillons sur le dépistage du cancer du sein, le dépistage néonatal, des sujets d’actualité comme la maladie de Lyme, ainsi que sur le contenu de la nouvelle consultation de prévention du cancer du sein à 25 ans.
Nous sommes régulièrement saisis sur des questions relatives à la santé mentale, ainsi que sur la prévention. La vaccination est un point important : nous allons bientôt publier un bilan anniversaire, car cela fait un an que le comité technique des vaccinations (CTV) a intégré la HAS. La vaccination est un sujet qui déclenche la méfiance en France, et notre plus-value est d’avoir un avis scientifique indépendant, en particulier des laboratoires, pour que les messages puissent être acceptés.
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