Face à son neurologue : quand Cavanna apprenait qu’il souffrait de la maladie de Parkinson

Publié le 31/01/2014
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Crédit photo : AFP

Mort le 29 janvier à 90 ans, l’écrivain François Cavanna a mis en scène dans son dernier livre « Lune de Miel », paru en 2010 chez Gallimard, le moment où un neurologue lui a appris la nature de sa maladie. Extraits.

[...]

C’était donc ça, ce léger – si léger ! – tremblement de la main ? Cette écriture qui, du jour au lendemain, s’est mise à foutre le camp dans toutes les directions ? Cette irréelle sensation de flou dans la démarche, de ralenti dans les gestes ?

J’ai demandé au neurologue :

« C’est certain ? Je veux dire : absolument ?

– Oh, pour ça, absolument. Vous ne présentez pas tous les symptômes, mais ceux que vous avez sont concluants. »

Très content de lui. Brave homme, au fond, il minimisa :

« Vous avez de la chance.

– Ah, ouais ?

– Vous auriez pu, du premier coup, présenter des symptômes très marqués. Vous ne vous en tirez pas trop mal, surtout étant donné votre âge.

– Qu’est-ce qu’il a, mon âge ?

– Eh bien, généralement, les symptômes apparaissent plus tôt. Si bien que, parvenus à votre âge, les patients sont beaucoup plus, si j’ose dire, « avancés » que vous.

– Vous voulez dire que ça va s’aggraver ? »

Il eut un geste de regret, puis cet apaisement :

« Chez vous, ça a l’air de suivre un rythme très lent.

– Mais toujours du côté de tant-pis ? »

Il s’excusa au nom de la science :

« On y travaille activement. Mais, jusqu’ici, on n’a trouvé que des palliatifs.

– C’est-à-dire ?

– On agit sur les symptômes. On a pu synthétiser la molécule qui fait défaut et on la fournit à l’organisme.

– Mais c’est merveilleux ! Et ça fonctionne ? »

Le docteur hésita, me jaugea, décida d’être franc :

« Un certain temps. Ensuite, il faut augmenter les doses.

– Indéfiniment ? Jusqu’où ?

– Je serai là. Je ne vous abandonnerai pas. Et puis, la science progresse, vous savez. »

[...]

Je dis, comme tout le monde, « un » parkinson. J’ai tort. Ce n’est pas un mec. Un mec ne pourrait pas être aussi méchant. Pas de cette manière, en tout cas. Au vrai, c’est une salope infâme, une sorcière aux yeux d’or, une cannibale qui suce les petits os, une de ces larves qui laissent la peau intacte et rose, et qui dévorent tout l’intérieur. Tout ce que vous voudrez, mais au féminin. Miss Parkinson. Pour la vie.

Traitement ? Y en a pas. Enfin, si, du palliatif. Le cerveau perd ses légumes, on les remplace tant bien que mal par de l’artificiel. Ca retarde l’échéance.

Au fait, c’est quoi, l’échéance ? Légume ? Cinglé ? Paralytique ? Pas moyen d’avoir une réponse nette. J’ai vu un académicien, une fois, sur un fauteuil, oublié dans un coin. C’était ça. Ça bavait. Ca tremblotait des badigoinces. Derrière le fauteuil, une jeune fille, un mouchoir à la main. Bon. Regarde-le bien... Oh, et puis, merde, ce putain de chapitre, on va pas se le finir dans la tristesse et l’amertume ! Champagne, jeune fille, et que ça saute. Et tous ensemble entonnons : « Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres ! »

[...]


Source : lequotidiendumedecin.fr