LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Le programme d’éradication de la poliomyélite a été lancé en 1988 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) avec un objectif initial à l’horizon 2000. Où en est-on de la mise en œuvre de ce programme ?
DR MICHEL ZAFFRAN : Des progrès considérables ont été réalisés. L’éradication du poliovirus sauvage en Afrique a été annoncée fin août. Cinq des six régions du monde définies par l’OMS n’ont plus de virus sauvage, celui-ci ayant été détecté pour la dernière fois en Afrique au nord-est au Nigeria, dans l’État de Borno, en septembre 2016. Depuis, des activités de vaccination ont été réalisées dans des conditions parfois très dangereuses et difficiles pour le personnel, les régions de Borno et du lac Tchad étant contrôlées par Boko Haram.
Au démarrage du programme, on comptait 125 pays où le virus sauvage était en vie. Chaque année, on recensait 350 000 cas de paralysies par la polio. Aujourd’hui, il ne circule plus qu’en Méditerranée orientale, au Pakistan et en Afghanistan. On enregistre actuellement 300 à 400 cas de paralysies par an causés par le virus sauvage et 200 à 300 cas causés par la souche vaccinale.
Il nous reste désormais à contrôler les flambées épidémiques liées à la souche vaccinale. Fin août, l’ONU s’est inquiétée d’une résurgence, notamment au Soudan. C’est un défi croissant pour le programme d’éradication de l’OMS.
Comment expliquez-vous la persistance de flambées épidémiques ?
Ces flambées viennent d’un vaccin vivant atténué oral contre le type 2 du virus, le Sabin, utilisé pour l’éradication de la polio. Ce vaccin fonctionne très bien et protège les enfants vaccinés, mais ceux qui ne le sont pas, sont infectés par transmission fécale-orale par le virus atténué qui a alors l’opportunité de se répliquer dans les intestins de ces enfants. Petit à petit, il redevient virulent et a la capacité de causer des paralysies. C’est ce qui se passe actuellement.
Une première épidémie liée à la souche vaccinale a été détectée en Haïti et en République Dominicaine en 2000. On a alors compris que ce vaccin atténué pouvait dans des conditions spécifiques redevenir virulent. Il était prévu à terme de le retirer pour le remplacer par le vaccin inactivé. Cela n’a pas été fait car ce dernier, même s’il protège la personne vaccinée n’interrompt pas la transmission de personne à personne. Il ne contient pas une immunité intestinale qui bloque la transmission.
Non détectée depuis 1999, la souche de type 2 du virus sauvage avait été déclarée officiellement éradiquée en 2015. L’année suivante, un retrait synchronisé du vaccin atténué a été décidé : 150 pays sont ainsi passés du vaccin oral trivalent au vaccin oral bivalent qui ne contenait plus la souche atténuée de type 2.
Cela a bien fonctionné pendant plusieurs années. Mais, en Afrique, on a constaté la réintroduction de cette souche atténuée de type 2 et progressivement, elle a commencé à se diffuser dans les populations mal vaccinées. C’est un échec. On voit désormais des flambées épidémiques dans des populations qui n’ont pas d’immunité intestinale.
Des recherches ont été lancées pour développer un nouveau vaccin. Où en sont-elles ?
Lancées il y a dix ans, ces recherches visent le développement d‘un vaccin lui aussi vivant, oral et atténué, mais modifié génétiquement pour réduire au minimum le risque de réversion, c’est-à-dire le risque que la souche vaccinale redevienne virulente.
La mise au point est bien avancée. Ce vaccin devrait pouvoir être utilisé dès la fin du mois d’octobre dans le cadre des conditions d’utilisation de l’urgence de santé publique de portée internationale. Le vaccin n’aura pas encore d’autorisation de mise sur le marché complète mais il aura été testé et validé en termes d’innocuité et d’efficacité.
La stratégie du programme reste donc axée sur la vaccination ?
Tout à fait. En parallèle, nous continuons à vacciner avec la version orale de type 2 monovalent dans l’optique d’interrompre les épidémies. L’introduction du nouveau vaccin oral va permettre, non seulement d’interrompre les épidémies, mais également de s’assurer de ne pas en avoir de nouvelles.
Dans le même temps, l’alliance GAVI pour les vaccins a donné son accord pour le financement d’une seconde dose de vaccin inactivé dans tous les pays éligibles, soit les pays à faibles revenus. Cela ne suffira pas pour arrêter la transmission, mais cela permettra de réduire le nombre de cas de paralysies. Il nous faut également parvenir à améliorer les taux de couverture vaccinale.
À quels obstacles se heurtent les campagnes de vaccination ? Quel a été l’impact du Covid-19 sur les programmes ?
Nous faisons face ponctuellement à des situations de méfiance de la population vis-à-vis de la vaccination, mais cela n’a rien de comparable avec ce qu’on connaît en Europe ou aux États-Unis. L’an dernier, par exemple, au Pakistan, une rumeur a circulé disant que les enfants vaccinés contre la polio mourraient. Cette rumeur s’est rapidement répandue sur les réseaux sociaux et a causé des résistances de la part de la population, mais aussi des actes de violence, jusqu’à l’assassinat, contre les personnels des équipes de vaccination. C’est un cas extrême, mais cela crée de la panique et de la résistance.
Nous travaillons alors de manière très étroite pour atténuer la défiance avec les communautés et les leaders locaux, traditionnels ou religieux. La proportion de parents qui refusent la vaccination en s’appuyant sur des rumeurs ou des fausses informations reste assez faible.
Les campagnes de vaccination ont par ailleurs été mises à mal par le Covid-19. Dès le mois de mars, les programmes qui n’offraient pas les garanties de sécurité sanitaire suffisantes aux personnels et aux populations ont été interrompus. Les personnels ont été mis à la disposition des pays pour répondre à la pandémie.
Depuis juin, nous planifions le redémarrage. Certaines campagnes ont repris dès juillet avec les mesures nécessaires. Mais la situation est très délicate : c’est plus lent et plus cher puisqu’il faut financer le matériel de protection.
Sérologie sans ordonnance, autotest : des outils efficaces pour améliorer le dépistage du VIH
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante
Regret post-vasectomie : la vasovasostomie, une alternative à l’AMP