Le voyage de Sarkozy aux États-Unis

De l’utilité d’Obama

Publié le 31/03/2010
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Crédit photo : AFP

LE CHEF DE L’ÉTAT sait depuis longtemps qu’un pays comme la France ne gagne rien à pratiquer cet antiaméricanisme qui, en général, permet seulement aux régimes autoritaires de distraire leurs peuples des problèmes qu’ils ne savent pas résoudre. On lui a beaucoup reproché de s’être rapproché de George W. Bush, avant même d’être élu président, alors qu’il se contentait de préparer le rapprochement franco-américain, quel que fût le chef de l’exécutif des États-Unis. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que M. Sarkozy ait plus de mal à s’entendre avec M. Obama, qui est vénéré en France et en Europe et aurait donc dû convenir à la diplomatie française. En réalité les choses ne sont pas simples : jamais, pendant sa campagne électorale, Barack Obama n’a laissé croire que le retour de son pays au multilatéralisme se traduirait par un abandon de son leadership mondial. Même la politique de la main tendue (au monde arabo-musulman, aux Russes, à l’Iran, à la Chine) n’est qu’une méthode pour offrir de l’Amérique son image la plus avenante. Elle n’est pas conçue pour réduire les responsabilités américaines dans le monde.

Sujets de désaccord.

Il existe des sujets de désaccord entre la France et les États-Unis. Nous n’avons pas accepté d’augmenter substantiellement nos effectifs en Iran ; nous avons été choqués par l’absence d’engagement américain au sommet de Copenhague sur l’environnement ; nous n’avons pas apprécié que, par un tour de passe-passe, l’énorme contrat pour les avions ravitailleurs, obtenu de haute lutte par EADS, soit finalement tombé dans l’escarcelle de Bœing, pour des raisons qui ont plus à voir avec le protectionnisme qu’avec la libre commerce; enfin, et surtout, l’indifférence de l’administration d’Obama à l’égard de la France faisait partie de son indifférence à l’égard d’une Europe dont le président des États-Unis ne comprend ni la construction ni la finalité ni la façon dont elle représentée. Son refus, adressé au chef du gouvernement espagnol, de participer au sommet euro-américain, a consterné les Européens et surtout les Français, toujours plus sensibles aux humiliations.

Nul doute que M. Sarkozy a appris à son interlocuteur un certain nombre de faits qu’il ignorait ou avait oubliés, notamment en ce qui concerne la puissance économique, sinon politique, de l’Union européenne et de ses institutions, il est vrai compliquées. Qu’il aura rappelé au président américain qu’il lui a fallu trois mois pour décider une stratégie pour l’Afghanistan et que la France ne peut y envoyer plus de soldats tant qu’elle ne saura pas ce que font dans ce pays les forces de l’OTAN. Et que son propre philoaméricanisme n’a pas été vraiment payé de retour, M. Obama n’étant pas convaincu qu’en s’adressant à Sarkozy, il s’adresse à tous les membres de l’UE, dont le plus important est l’Allemagne.

D’autres sujets de friction existent : M. Sarkozy demande une régulation drastique des institutions bancaires qui ne pourrait voir le jour aux États-Unis qu’au terme d’une longue bataille parlementaire ; et il est amené à réitérer cette exigence lors du sommet du G20 qu’il présidera. Le projet de vente de quatre frégates Mistral aux Russes ne semble pas, aux yeux de Washington, compatible avec l’appartenance de la France à l’OTAN. La convergence des politiques environnementales demeure problématique. La position de la France au sujet de l’Iran est beaucoup plus dure que celle des États-Unis, mais M. Obama n’est plus très loin de penser que M. Sarkozy a raison. Il est peu probable, en revanche, que le chef de l’exécutif demande à la diplomatie française d’apporter sa contribution à une résolution, plus que jamais hypothétique, du conflit israélo-palestinien.

LEURS CARACTÈRES DIAMÉTRALEMENT OPPOSÉS EMPÊCHENT UNE AMITIÉ PROFONDE

Un fond d’animosité.

Les dossiers ont progressé, mais il reste le marc de café, ce fond d’animosité mal contenue entre les deux présidents, dont les caractères sont diamétralement opposés. Sarkozy a toujours voulu dédramatiser sa fonction, il tutoie à peu près tout le monde et il parle un langage populaire censé contenir plus de bon sens que celui de ses prédécesseurs ; Obama, c’est tout le contraire, il est cool, c’est-à-dire plutôt frais que tiède, et veut donner à sa présidence toute la dignité que lui refusent ceux qui n’ont jamais voulu d’un président noir. Ces deux caractères ont toujours été sur une trajectoire de collision. L’un examine une idée pendant des mois avant de l’exposer ; l’autre en parle aussitôt quil l’a conçue. L’un est d’une courtoisie proche de la déférence ; l’autre vous tape dans le dos. Bref, M. Obama croit davantage aux dossiers qu’aux personnalités alors que M. Sarkozy fait de la séduction et de la persuasion ses armes principales.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 8741