« Demain, nous ouvrons six nouveaux lits, mais ce sont les derniers : après, nous ne pourrons plus recevoir les patients et nous risquons de devoir trier les patients », se désole le Pr Yves Cohen, chef du service de réanimation médico-chirurgicale de l’hôpital Avicenne, à Bobigny en Seine-Saint-Denis. Comme de nombreux réanimateurs, il tire la sonnette d’alarme face à cette troisième vague qu’il faut affronter, certes avec l’expérience en plus… mais aussi la fatigue et le sentiment de n’être pas écouté par les autorités politiques.
Son service compte d’ordinaire 16 lits ; depuis le 1er octobre, il est passé à 32 lits pour recevoir les patients Covid. Il y a trois semaines, la situation s’aggravant, huit lits supplémentaires sont encore aménagés. « 46 lits demain, c’est la limite de la limite », explique-t-il au « Quotidien », d’autant que ces ouvertures se sont faites sans renfort humain. « Nous demandons aux paramédicaux de faire des heures supplémentaires et, sur le plan médical, nous avons dégradé notre prise en charge ; nous sommes à un médecin pour huit malades, au lieu de deux. » Le Pr Cohen espère de l’aide la semaine prochaine. « Nous sommes au même niveau maximal qu’il y a un an, mais lors de la première vague beaucoup de paramédicaux étaient venus nous prêter main-forte, ainsi que cinq médecins seniors. »
Des patients plus jeunes, plus graves
Bien que les pratiques soient mieux rodées, le profil des patients complexifie les prises en charge. Ils sont plus jeunes : « Nous n’avons plus aucun malade au-dessus de 74 ans. Ils ont 47 ans, 31 ans, 34 ans, 51 ans, 46 ans, 53 ans, 51 ans…, égrène-t-il. Chez nous, la moitié des patients ont moins de 55 ans et une seule comorbidité : le surpoids/obésité. On ne retrouve pas (ou très rarement) l’hypertension artérielle ou le diabète. » Particularité d’un territoire défavorisé : des familles entières (« deux frères, un couple, une mère et deux enfants ») se retrouvent parfois en réa, en raison de l’impossibilité de s’isoler dans des appartements trop étroits.
« Ils sont plus graves quand ils arrivent chez nous et dans la plupart des cas passent directement des urgences à la réanimation », sans passer par la case hospitalisation, ajoute le Pr Cohen. À cela deux raisons, selon lui : l’effet du variant anglais, ou une trop longue attente avant d’aller à l’hôpital de la part des patients jeunes.
La proportion de patients intubés a grimpé jusqu’à 50 % contre 25-30 % au début de la deuxième vague. Et les séjours sont plus longs, puisque la durée moyenne d’hospitalisation en réanimation est de 21 jours lorsqu’il y a intubation, versus 11 jours avec une oxygénothérapie à haut débit non invasive (type Optiflow). « Il va y avoir un goulot d’étranglement en réanimation », craint-il.
Déprogrammations et transferts
Une troisième vague semblable à la première : le constat a conduit le patron de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris Martin Hirsch à apporter un soutien public à des équipes éprouvées : « Les chiffres d’hier [le 23 mars], qu’il s’agisse des entrées en réa ou en hospitalisation conventionnelle, sont particulièrement élevés. Nous n’avions pas connu un nombre d’entrées aussi haut en 24 heures depuis la 1re vague », a-t-il écrit dans un courrier publié sur le compte twitter de l’institution.
L’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France s’attend, elle, à franchir le seuil de 1 500 patients en soins critiques. Le 24 mars, son directeur Aurélien Rousseau alertait, toujours sur Twitter : « 1 350 malades en soins critiques, c’est déjà 250 de plus qu’en deuxième vague. Le taux d’incidence des 20-50 ans est au-dessus de 800/100 000 dans le 93 [Seine-Saint-Denis] et 700 en Île-de-France. »
Dans les Hauts-de France, les hospitalisations pour Covid-19 ont aussi dépassé les niveaux atteints lors des deux premières vagues de l’épidémie, avec 60 à 70 personnes qui entrent en réanimation et soins intensifs chaque jour et près de 3 3 000 patients du Covid hospitalisés.
Partout des déprogrammations sont planifiées, pour monter à 2 250 lits de réanimation en Île-de-France, ou 950 dans les Hauts-de-France (contre 460 avant la crise). Des évacuations sanitaires sont envisagées, mais la stratégie s’enraye. Selon la Direction générale de la santé, entre le 13 et le 23 mars, seulement 38 patients en réanimation ont été transférés (13 issus d’Île-de-France, 12 de PACA, 11 des Hauts-de-France, deux de Mayotte), bien loin des prévisions du gouvernement. « Nous avons évacué un patient en 15 jours. Les familles ne veulent pas », témoigne le Pr Cohen.
Vers un durcissement des mesures ?
Faut-il durcir le confinement ? Les avis des médecins divergent. « Confiner dehors, c’est très bien », considère le Pr Nicolas Franck, psychiatre à l’hôpital Le Vinatier (Lyon), qui s’inquiète des séquelles psychiques de la crise sur la population. Mais les réanimateurs, eux, n’hésitent pas à demander un confinement plus strict. « On est en train de pousser les murs pratiquement comme au niveau de la première vague. On est extrêmement inquiet pour les 15 prochains jours. Car c’est bien gentil de pousser les murs mais au bout d’un moment ils s’écroulent », témoigne le chef de service de réanimation de l’hôpital Bichat (AP-HP), le Pr Jean-François Timsit, sur France Inter.
« On demande un confinement depuis trois semaines, les mesures prises n’ont aucune visibilité ! », s’impatiente le Pr Cohen. « Il n’y a pas d’autre choix que revenir à un confinement assez strict, pour ne pas dire très strict », dit encore sur France Info le Pr Djillali Annane, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine).
D’autres appellent à une augmentation pérenne de leurs moyens. « Nous allons devoir vivre encore longtemps avec le virus : si rien n’est fait pour pérenniser les ressources humaines et les lits de réanimation, nous ne pourrons pas faire face aux prochaines vagues » déplore le Pr Nicolas de Prost, médecin réanimateur à l’hôpital Henri-Mondor, au nom du Conseil national professionnel de médecine intensive réanimation.
L’épidémiologiste Dominique Costagliola plaide à contrecœur pour la fermeture des écoles, faute d’un protocole sanitaire assez efficace pour éviter le brassage d’élèves. « On aurait pu installer des capteurs à CO2 et de la ventilation, mais cela coûte de l’argent. De même, il aurait fallu être capable de tester largement dès qu’un cas était découvert. On ne l’a pas fait. Maintenant, on est dans le mur », constate-t-elle dans « Libération ».
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