Anna Bella Failloux : « Le moustique, la voie de recherche la plus rapide contre Zika »

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Publié le 04/02/2016
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L'entomologiste Anna-Bella Failloux est directrice de l'unité de recherche «ØArbovirus et insectes virusØ» à l'institut Pasteur.

Les deux espèces de moustiques Aedes aegypti et albopictus peuvent transmettre le virus Zika. Quelle est la responsabilité des deux espèces dans l'épidémie actuelleØ?

Le moustique Aedes aegypti est le vecteur majeur du virus Zika dans la région Amérique, présent en Amérique du Sud et aux Caraïbes. Et surtout il est très anthropophile. Le moustique Aedes albopictus joue un rôle secondaire. Certes, il est génétiquement compétent et transmet très bien le virus en conditions de laboratoire. Mais le moustique est bien moins anthropophile, quasi inexistant aux Caraïbes. En théorie, il n'y a pas d'Aedes Albopictus aux Antilles dans les îles françaises, peut-être à Cuba. 

Le Haut Conseil de santé publique (HCSP) avait émis l'été dernier la possibilité d'une propagation de l'épidémie à la métropole, en raison de la présence de moustique tigre dans certains départements du sud de la France. Des cas importés de Zika sont décrits en métrople. La menace est-elle réelle ?

Pour l'instant, en France métropolitaine, le moustique albopictus est là sans être là, puisqu'il est présent sous la forme d'oeufs pour traverser l'hiver. La situation sera bien différente dès les premières pluies au printemps, où le moustique albopictus va circuler sous sa forme adulte. Dès lors, si un sujet malade arrive en métropole en plein été, la transmission devient théoriquement possible. On peut craindre que les Jeux Olympiques à Rio participent à disséminer le virus sur le plan international. 

La grande question est de savoir si cet Aedes albopictus tempéré est capable d'entraîner une épidémie de la même ampleur. Il semblerait que non, car les conditions de vie sont très différentes en Europe, les gens vivent beaucoup moins à l'extérieur et les densités de population sont beaucoup moins fortes. 

La saisonnalité joue un rôle dans l'éclosion d'une épidémie. Les changements climatiques ont aussi été pointés du doigt, comme un facteur aggravant. Fiona Armstrong, directrice de l'Alliance mondiale pour le climat et la santé, a déclaré «Øles virus transmis par les moustiques comme Zika, représentent une menace croissante pour l'espèce humaine à cause du surcroît de chaleur et d'humidité associé au changement climatiqueØ».  Comment expliquer ce phénomèneØ?

Le moustique est incapable de réguler sa température interne. Quand la température extérieure monte, la température corporelle de l'insecte augmente. Et conséquence directe, le virus se multiplie plus vite. Le vecteur devient beaucoup plus contagieux. La température, c'est le premier impact des maladies vectorielles. 

La perturbation climatique El Nino va entraîner des préciptations intenses à certains endroits du globe et des périodes de sécheresse à d'autres. Ces changements de temps vont modifier la distribution du moustique. 

En sait-on davantage sur l'association entre l'infection par le Zika et les malformations congénitalesØ?

Les données sont très faibles à ce sujet. C'est la priortié de recherche. Jusqu'à ce que les cas de microcéphalies ressortent au Brésil compte tenu de l'ampleur de l'épidémie, peu de cas graves étaient rapportés. Des praticiens en Polynésie française se sont penchés a posteriori sur les registres de la période 2013-2014 et ils ont retrouvé 18Øcas de malformations congénitales survenues chez des mères infectées par le Zika.

Le rôle des coinfections virales est évoqué. Les deux espèces d'Aedes sont capables de transmettre chacun des trois virus, la dengue, le chikungunya et le Zika. Le moustique est capable de transmettre en même temps la dengue et le chikungunya. Il reste aujourd'hui à prouver la co-transmission du Zika avec la dengue ou le chikungunya voire les trois simultanément. 

Quels sont les enjeux de la recherche sur le moustique dans le contrôle de l'épidémie ?

La mise au point d'un vaccin contre le Zika nécessite au moins un an. Dans l'immédiat, le moustique est le seul moyen disponible pour contrôler l'épidémie. C'est aussi la voie de recherche la plus rapide car on peut travailler tout de suite sur de grandes cohortes. Une voie de recherche sur laquelle nous travaillons est de couper sa capacité de transmission. L'idée est de mieux comprendre les étapes clefs de l'infection chez le vecteur, c'est-à-dire les différentes barrières que le virus doit passer. Le moustique est le lieu d'une pression de sélection de sous-variants viraux à l'origine d'une épidémie chez l'homme. Mieux comprendre la pathogenèse chez le moustique, par exemple le temps nécessaire à devenir infectant, aidera à prendre des mesures adaptées dans les débuts d'une épidémie.  

 


Source : Le Quotidien du médecin: 9468