« À L’HEURE où la confiance en la science est parfois remise en cause, l’Institut Curie souhaite agir pour améliorer le dialogue entre les médecins, les chercheurs et la société » grâce à des séminaires intitulés « Parlons éthique ». Organisé à l’initiative de deux scientifiques de l’Institut, Claire Hivroz et Vassili Soumelis, chefs d’équipes au sein de l’unité immunité et cancer (Curie/INSERM U932), le premier séminaire s’est attaqué au problème de la fraude scientifique et à l’intégrité du chercheur. « Avec Vassili et d’autres collègues, nous avons remarqué qu’il y avait peu de place dans le contenu des cours sur l’intégrité scientifique. Or, c’est très important dans ce métier de savoir ce que l’on a le droit de faire et de ne pas faire », explique Claire Hivroz qui encadre des étudiants en thèse depuis 1991.
Course à la publication.
Dans un contexte de course mondiale à la publication, le problème de la fraude scientifique prend une ampleur nouvelle, en France comme à l’étranger et quel que soit le niveau du chercheur, étudiant ou confirmé. Selon une enquête présentée par la chercheuse américaine Melissa Anderson (Université de Minnoseta) - et publiée dans Nature en 2005 -, 33 % des 3 247 scientifiques interrogés de façon anonyme avouaient avoir déjà manqué à la déontologie, d’une manière ou d’une autre. La typologie des fraudes est variée : elle va du plagiat à la fraude par idéologie ou intérêt. Ces résultats sont « surprenants », commente Claude Huriet, président de l’Institut Curie. « C’est un signe d’alerte et c’est précisément l’objet du séminaire ». En France, si trois institutions (l’université Lyon 1, l’Institut Pasteur et l’INSERM) ont mis en place des comités en charge de l’intégrité scientifique, il n’existe toutefois pas de code de déontologie du chercheur. « C’est vrai que les citoyens posent des questions, ont des doutes », témoigne Claudie Haigneré, présidente d’Universcience, établissement public qui rassemble le Palais de la découverte et la Cité des sciences. La confiance accordée aux chercheurs, globalement bonne, dépend en grande partie des domaines de recherche dans lesquels ils travaillent. « La mise en doute de leur intégrité est d’autant plus forte lorsque des liens existent avec l’industrie » comme celle du nucléaire ou de l’agroalimentaire. L’accès au savoir, via Internet, « change la donne », reconnaît l’astronaute pour qui l’intégrité du chercheur doit, « pourquoi pas », laisser place à une « éthique de conviction » telle que l’a eu Isaac Newton (mais aussi Mendel, Galilée, et plus récemment John Nash). Les lois de la gravitation méritaient bien une modification de résultats. Encore faut-il que le chercheur ait, au moins, « une éthique de responsabilité », souligne l’ancienne ministre de la Recherche. Les multiples débats publics qui se font jour démontrent une « sagesse d’analyse » des citoyens face à l’ambivalence de la science : « on n’est plus persuadé, aujourd’hui, que les résultats obtenus par les chercheurs sont la condition certaine de l’amélioration de notre humanité », constate le Pr Axel Kahn.
« Il y a deux différents concepts d’intégrité », poursuit le Pr Stefano Semplici, président du Comité international de bioéthique de l’UNESCO. Le premier concept est individuel (avec la possibilité morale de dire non). Le second, plus complexe, s’applique à la science en général et comporte un dilemme éthique car « on ne peut pas avoir tous les côtés positifs : c’est le principe du risque ». Dans une société du risque, les chercheurs ne sont plus seuls à juger de leur propre intégrité. L’intégrité devient une valeur politique et la responsabilité est partagée. Le Pr Semplici prend l’exemple du dilemme bioéthique posé par la publication ou non des travaux des chercheurs du centre Erasmus, à l’origine de la création d’un virus H5N1 artificiel. Après avoir demandé la suspension de la publication des études portant sur ce supervirus de la grippe aviaire, le Bureau national américain de biosécurité (NSABB) a finalement changé de décision. La contribution de ces publications qui vise à améliorer la surveillance internationale du virus a été jugée plus importante que la menace d’une utilisation nuisible.
Des valeurs à apprendre.
Certaines disciplines échappent plus ou moins à cette tension. « Les mathématiciens considèrent d’ailleurs que leur discipline est la plus vertueuse », confirme Cédric Villani qui a reçu la médaille Fields en 2010. Les tentations ne sont pas nombreuses, convient-il, et les résultats sont, « en théorie », vérifiables. Alors qu’en parallèle, il y a mille et un moyens de falsifier des travaux, témoigne Bernd Pulverer, le rédacteur en chef d’EMBO Journal : avec photoshop, les chercheurs sont tentés d’embellir une image pour renforcer leur démonstration ou d’établir une courbe bien dessinée plutôt que des données point par point. Mais comment ne pas vouloir se démarquer face à l’explosion du nombre de publications internationales ? C’est de la « production intensive », tranche Claude Huriet pour qui la recherche est inconciliable avec le temps médiatique. Face à l’obsession de « l’impact factor », « il faut toujours garder en tête la notion de progrès », avertit Cécric Villani.
Les valeurs de l’intégrité doivent s’apprendre lors de la formation des chercheurs. À l’université Paris-Descartes qu’il présidait, Axel Kahn indique que chaque doctorant doit soumettre sa thèse sous une forme informatique : grâce aux moteurs de recherche, les plagiats sont ainsi plus aisément détectables. Et si plagiat est constaté, la sanction tombe : la thèse est refusée avec avertissement aux autres universités. Car la fraude n’engage pas seulement la morale de l’auteur : c’est aussi « un terrible coup porté » à la communauté des chercheurs. Pour le scientifique vertueux, il n’y a pas plus terrible que la mise à pied et « la destruction de la réputation », juge Axel Kahn. Mais la sanction académique est-elle suffisante pour les autres, ceux qui sont, par exemple, à l’origine de scandales tels que l’amiante ou l’hormone de croissance ? Michelle Hacdouel, déléguée à l’intégrité scientifique à l’INSERM rappelle que le médecin, lui, peut être traduit non seulement devant les instances ordinales mais également en justice. « Il y a une exemplarité de la peine », défend-elle. « Même si, au final, rien ne remplacera l’éthique personnelle du chercheur », elle estime nécessaire de rédiger un « code de conduite responsable de la recherche au niveau national », à l’image de celui proposé par l’European Science Foundation (www.esf.org).
Le 1er séminaire de « Parlons éthique » s’est tenu à la Cité internationale universitaire de Paris.
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