Le Pr Alain Carpentier définit son invention comme « une innovation de rupture à double titre, a-t-il expliqué au « Quotidien » : d’une part, elle repose sur une physiologie cardio-mimétique qui concerne notamment le mode de contraction visco-élastique et la régulation médicale y compris sympathique. D’autre part, elle recourt aux biomatériaux de type bioprothétiques qui ont fait la preuve d’une meilleure hémocompatibilité par rapport aux matériaux synthétiques antérieurs. »
Innover et rompre : le défi chirurgico-technologique du Pr Carpentier est bientôt trentenaire : l’implantation de sa bioprothèse a fait l’objet d’expérimentations in vivo dès 1989, avec des essais réalisés sur des veaux à l’hôpital Broussais. Quatre ans plus tard, après la rencontre du chirurgien avec l’industriel Jean-Luc Lagardère, patron de Matra, qui va apporter ses ingénieurs et ses capitaux, la start-up Carmat voyait le jour dans la plus totale discrétion, jusqu’à son introduction en Bourse en 2010. Mais la médiatisation mondiale de la championne française de l’innovation médicale intervient vraiment en 2013, avec la première implantation chez l’homme. L’un des associés de Carmat, le Dr Philippe Pouletty, n’hésite pas alors à évoquer « un marché potentiel de plusieurs milliards d’euros (…) avec environ 100 000 malades en Europe et aux États-Unis, où seulement 5 à 7 % des patients qui ont besoin d’une transplantation cardiaque en bénéficient, faute de donneurs ».
Le pari pourrait bien être gagné. L’étape de l’étude clinique de faisabilité a en effet été remportée. L’objectif d’une survie à 30 jours a été dépassé chez trois des quatre patients implantés, tous les quatre souffrant d’insuffisance cardiaque biventriculaire à un stade très avancé et de comorbidités diverses : le premier est décédé après 74 jours, le second après neuf mois, le troisième après huit mois et dix jours. Seul le quatrième patient, mort au bout de 3 semaines, n’aura pas tenu le critère des 30 jours requis par le protocole approuvé par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). « Dans tous les cas, nous n’avons pas rencontré d’hémolyse, de thrombose, de maladie de Willebrand ou d’infection liée au dispositif », a souligné le Pr Carpentier.
20 à 25 patients suivis à 180 jours
Ces résultats ont donc conduit les autorités françaises (ANSM et comité de protection des personnes) à donner leur feu vert, le 13 juillet dernier, pour enclencher l’ultime étape : l’étude dite pivot, qui portera sur 20 à 25 patients, suivis à 180 jours dans dix centres européens d’implantation. Cette fois, le protocole inclut des patients « éligibles à la transplantation dont la probabilité d’obtenir un greffon est très faible », des patients plus jeunes et avec de moindres comorbidités que ceux retenus pour l’étude de faisabilité.
Le marathon financier cependant se poursuit. Un pool d’investisseur s’est constitué en février pour souscrire une augmentation de capital de 50 millions d’euros, de quoi assurer jusqu’à l’obtention du marquage CE, ultime étape avant de lancer la commercialisation. L’État français, via BPIfrance et PIA (programme d’investissement d’avenir) a mis 34 % au pot. Un jackpot public jamais encore versé, preuve que le gouvernement veut y croire. Les petits porteurs aussi, qui font leur compte sur Boursorama : « objectif à terme de 20 à 30 % des 95 % de patients atteints d’insuffisance ventriculaire qui ne trouvent pas aujourd’hui de greffon, ça fait bien plus de 10 000 cœurs vendus par an », calcule un boursier. Un nouveau DG, Stéphane Piat, débauché du groupe pharmaceutique américain Abbott, vient de prendre les commandes alors que la première implantation dans le cadre de l’étude pivot a été annoncée par un communiqué laconique, le 29 août. Ni l’hôpital, ni le profil du patient ne sont précisés. L’innovation clinique, industrielle et bientôt commerciale se court avec une communication minimale. Sauf fuite, les informations ne devraient être diffusées qu’au terme de l’étude pivot. Pas avant 2020. Silence, on innove !
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