Alors que les antidépresseurs sont de plus en plus prescrits dans la prise en charge des douleurs chroniques, telles que la fibromyalgie, les maux de tête persistants ou l'arthrose, une analyse de 26 revues systématiques publiée dans le « BMJ » interroge leur pertinence. Les auteurs n’ont trouvé aucune donnée de haut niveau de preuve en faveur de leur efficacité antalgique, quelle que soit l'affection en cause.
Si les résultats invitent, selon eux, à une « approche plus nuancée » lors de la prescription, le Pr Éric Serra, psychiatre et médecin de la douleur, également vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), rappelle la complexité de la prise en charge de la douleur et le rôle joué par les antidépresseurs.
« L’intérêt des antidépresseurs renvoie à leur efficacité antalgique spécifique sur les mécanismes douloureux neuropathiques et nociplastiques, leur efficacité anxiolytique, leur efficacité bien sûr antidépressive. Cette combinaison thérapeutique illustre la subtilité de leur usage en médecine de la douleur, explique le chef de service du centre d’étude et de traitement de la douleur (CETD) au CHU d’Amiens. L’aide qu’ils apportent, parfois précieuse, parfois marginale, ne résume en rien la prise en charge. »
Huit classes d'antidépresseurs, 22 types de douleurs
Pour évaluer l'efficacité, l'innocuité et la tolérance des antidépresseurs contre la douleur, les auteurs de l’étude se sont penchés sur des revues publiées entre 2012 et 2022 (156 essais distincts et plus de 25 000 participants), comparant chez l’adulte les effets de huit classes d'antidépresseurs par rapport à un placebo dans 22 types de douleurs comme le mal de dos, la fibromyalgie, les maux de tête, la douleur postopératoire ou le syndrome du côlon irritable. Au total, 42 évaluations distinctes (contre placebo) ont été analysées.
Les risques relatifs ou les différences moyennes de douleur entre les groupes ont été estimés sur une échelle de 0 à 100 points, en tenant compte de paramètres comme la dose et la durée du traitement. En considérant également le niveau de preuve, chaque résultat a ensuite été classé comme efficace, non efficace ou non concluant.
La méthodologie utilisée est à prendre en compte dans la lecture des résultats, prévient le Pr Serra. « Les situations cliniques présentées sont très hétérogènes. Et, la sélection opérée, en supprimant les comorbidités par exemple, peut éloigner des situations cliniques individuelles », souligne-t-il. Autre limite, les prises en charge étudiées sont également disparates. « Les prescriptions pour l’amitriptyline (un tricyclique, inhibiteur non sélectif de la recapture de la monoamine) vont par exemple de 10 à 50 mg par jour », ajoute-t-il.
Un niveau de preuve modéré dans onze situations
Selon les résultats, seules 11 comparaisons montraient une efficacité. Des résultats, avec un niveau de preuve modéré, suggèrent que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) ont une efficacité pour les maux de dos (moyenne inférieure de 5,3 points sur l'échelle de la douleur par rapport au placebo), la douleur postopératoire (−7,3), les douleurs neuropathiques (−6,8) et la fibromyalgie.
Des résultats avec un faible niveau de certitude avancent également une efficacité de cette classe d’antidépresseurs dans les douleurs liées : au traitement du cancer du sein, à la dépression, à l'arthrose du genou et à d'autres affections sous-jacentes. Également avec un faible niveau de preuve, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) se sont révélés bénéfiques pour la dépression et les douleurs liées à d'autres affections. Et un effet des tricycliques est suggéré pour le syndrome du côlon irritable, les douleurs neuropathiques et les céphalées de tension chroniques.
Pour les 31 autres comparaisons, soit les antidépresseurs étaient inefficaces (cinq comparaisons) soit les preuves n'étaient pas concluantes (26 comparaisons). « Bien que les trois quarts des antidépresseurs prescrits pour traiter un état douloureux soient des tricycliques, les preuves suggèrent que leur efficacité n'est pas concluante », soulignent les auteurs.
Par ailleurs, sur l'innocuité et la tolérance, les données étaient « imprécises », empêchant toute interprétation, est-il observé. Les auteurs soulignent également que leurs conclusions, reposant sur un nombre limité d’essais, peuvent ne pas s'appliquer aux antidépresseurs prescrits pour des symptômes comme la fatigue ou les troubles du sommeil. Ils invitent aussi à la prudence dans l’interprétation dans la mesure où 45 % des essais avaient des liens avec l'industrie.
« L’efficacité des traitements antidépresseurs à visée antalgique est confirmée dans certaines situations comme les douleurs neuropathiques ou la prévention de la migraine. Les résultats sont plus flous pour certaines douleurs très complexes comme la fibromyalgie ou la lombalgie », résume le Pr Serra.
Des approches non médicamenteuses à développer
« Pour la plupart des adultes souffrant de douleur chronique, le traitement antidépresseur sera décevant », analyse un éditorial associé, tout en observant que « les cliniciens continuent de prescrire des médicaments pour lesquels les preuves sont médiocres car ils constatent que certaines personnes y répondent, bien que modestement ». Les auteurs plaident pour la recherche d’alternatives pour aider les patients à vivre avec la douleur, comme l’activité physique, le soutien à la mobilité et contre l'isolement social.
L’important, selon le Pr Serra, est « d’offrir au patient un ensemble de réponses thérapeutiques, dont les antidépresseurs peuvent faire partie ». Et, ce d’autant, poursuit-il, que, dans la population de patients avec des douleurs chroniques, environ 20 % ont également un trouble dépressif caractérisé. « Ce trouble doit être traité. La présence de comorbidités peut justifier le traitement en première intention », juge-t-il, rappelant la nécessité d’une prescription « à des doses efficaces, avec un objectif et une durée de traitement définis ».
Et d’ajouter : « en parallèle, des procédures non médicamenteuses peuvent être remarquablement efficaces, et notamment les activités physiques adaptées qui sont probablement un élément essentiel ». Leur mise en place peut réclamer du temps et de la pédagogie. « Face à un patient douloureux et fatigué, il n’est pas évident de faire entendre la nécessité d’une activité physique », reconnaît le médecin de la douleur. Ces explications sont pourtant une manière de « nouer un lien » avec le patient pour une relation thérapeutique prenant en compte la complexité de la douleur chronique.
G.E. Ferreira et al, BMJ, 2023. doi.org/10.1136/bmj-2022-072415
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