L’Ordre des médecins s’apprête à changer de têtes. Bientôt paritaire, rajeuni et dirigé par un nouveau président (ou une présidente), à l’issue du renouvellement d’une grande moitié de ses membres, le Conseil national devra s’atteler aux nombreux défis qui l’attendent : la désertification médicale, mais aussi la redéfinition du contour des métiers.
Parité bien ordonnée commence par soi-même. Pour la première fois de son histoire, le Conseil national de l’Ordre des médecins sera constitué d’autant de femmes que d’hommes au soir du 22 juin à l’issue de sa recomposition (lire encadré). Programmée par une ordonnance de 2017 et engagée lors du précédent renouvellement par moitié il y a trois ans, cette réforme de la parité se concrétise au moment où la profession en exercice est elle-même paritaire (50,5 % des 198 000 médecins en activité régulière en France sont des femmes). Cette évolution ne sera-t-elle qu’une façade où se traduira-t-elle dans l’action de l’Ordre et d’abord dans la composition de son futur bureau ? La question reste ouverte. « On verra, commente un membre de l’actuelle équipe dirigeante. Peut-être que les nouvelles arrivantes prendront du temps pour découvrir le fonctionnement de l’Ordre mais quoi qu’il en soit, le bureau aussi a vocation à terme à devenir paritaire. »
Au terme de ces élections qui concerneront 36 des 58 postes de conseillers nationaux (lire encadré), une chose est sûre, l’Ordre des médecins aura un nouveau président. À 66 ans et après trois mandats, le Dr Patrick Bouet a annoncé qu’il ne se représentait pas. Son départ ouvre une nouvelle ère. Le large remaniement d’une assemblée féminisée et le changement de président devraient en effet rebattre les cartes. « C’est une ère de défis qui s’ouvre pour un conseil national renouvelé comme il ne l’a jamais été avec un système de santé en mauvais état », observe un conseiller national, qui préfère conserver l’anonymat.
Plusieurs bourrasques
Les enjeux ne manquent pas après un dernier mandat éprouvant pour le Dr Bouet et ses équipes. Fin 2019, l’instance a été sérieusement ébranlée par un rapport au vitriol de la Cour des comptes. Les sages de la rue Cambon pointaient notamment de « sérieuses défaillances de gestion », « niveaux de rémunération particulièrement élevées » ou encore « un manque chronique de rigueur dans le traitement des plaintes ». « Ce rapport à charge a été une petite tempête pendant quelques mois, concède un ordinal. La réforme du financement de l’Ordre était déjà engagée et certaines critiques sur le laxisme disciplinaire étaient fondées mais ne représentaient que de rares cas. » La médiatique et désastreuse affaire Le Scouarnec, du nom de ce chirurgien pédophile condamné en décembre 2020 à 15 ans de prison pour abus sexuels sur mineurs et accusé de viols et agressions sexuelles sur plus de 300 personnes, a aussi laissé des traces, contribuant à entacher la réputation du Cnom. Le procès a permis de pointer les responsabilités de ses employeurs hospitaliers, de la Ddass et de la justice dans le fait que le médecin ait pu passer entre les mailles du filet pendant une trentaine d’années.
La crise sanitaire, ces deux dernières années, a aussi chamboulé l’ordinaire de l’institution entre l’inquiétude exprimée au début de l’épidémie de Covid-19 pour les médecins exposés sans protections, le combat pour obtenir des vaccins en cabinet et l’exhortation des confrères à se vacciner eux-mêmes. « Patrick Bouet a été d’une très grande efficacité pendant cette crise sanitaire, il a rendu l’Ordre visible et audible », estime un confrère du Conseil national.
Ne pas prêcher dans les déserts
La nouvelle équipe du Cnom qui prendra ses fonctions dans la foulée de la réélection d’Emmanuel Macron n’aura pas de temps d'état de grâce et devra s’atteler à plusieurs dossiers prioritaires. Avec en premier lieu la désertification médicale qui prend chaque année un peu plus d’ampleur. Alors que de nombreuses voix réclament des mesures contraignantes à l’installation des médecins, l’Ordre aura pour ambition de se faire entendre. « Il faut garantir le principe d’une égalité républicaine dans un accès à des soins de qualité pour tous », affirme au Quotidien le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom.
Auteur d’un atlas annuel de la démographie médicale et disposant d‘une réelle expertise dans le domaine, l’Ordre a décidé de porter un nouveau concept avant la présidentielle. Dans sa plateforme « Soigner demain », réalisée au terme d’une consultation de 17 000 médecins, le Cnom défend le principe d’une « responsabilité territoriale » partagée par l’ensemble des acteurs du soins dans les bassins de vie et non par les seuls médecins libéraux. Le gouvernement retiendra-t-il une telle option ? Rien n’est moins sûr. Pendant la campagne, Emmanuel Macron s'est en effet pour la toute première fois exprimé en faveur d’un conventionnement sélectif dans les zones surdenses.
Face à la pénurie de médecins, les pouvoirs publics ont la tentation de redéfinir les contours des métiers en accordant de nouvelles tâches médicales à d’autres professions paramédicales. « L’un des enjeux sera de réhabiliter le leadership du médecin, commente le Pr Stéphane Oustric, délégué au numérique. Aujourd’hui tout est dérégulé, le parcours de soins et le médecin traitant. Il faut préserver le parcours de soins coordonné par le médecin. »
Méthode Bouet
Du fait de certaines prises de position sur ce sujet, le patron de l’Ordre ne s’est pas fait que des amis. « Il y a de l’eau dans le gaz avec quelques services ministériels depuis que l’on s’est opposés aux prescriptions par les pharmaciens ou à la création d’une profession intermédiaire », observe un conseiller. La nouvelle équipe devra aussi renouer le fil avec les syndicats de médecins libéraux avec lesquels les relations n’ont pas toujours été au beau fixe, les médecins ayant parfois été heurtés par certaines prises de position de l’Ordre sur des questions de défense des intérêts professionnels même si le Dr Bouet s’en défend. Le Dr Jean-Paul Ortiz, qui a présidé jusqu’à il y a quelques semaines la CSMF, se montre critique : « J’ai plusieurs fois reproché au Dr Patrick Bouet de venir sur les platebandes syndicales. Le Cnom doit rester le cénacle du contrôle des diplômes et des qualifications, j’attends du Cnom qu’il se positionne davantage sur les sujets éthiques, la fin de vie mais aussi la GPA. J’espère que la nouvelle équipe changera de méthode. » L’Ordre a fort à faire aussi pour regagner la confiance d’une partie des médecins qui contestent son utilité et renâclent à lâcher leur cotisation annuelle de 335 euros. Au point d’avoir vu naître en 2014 un mouvement d’insoumission aux Ordres professionnels (Miop), collectif qui entend dénoncer les « dérives et l'incurie des ordres professionnels » considérés comme des « tribunaux d'exception ». Si ce mouvement reste très minoritaire, il n’en traduit pas moins une exaspération d’une partie de la profession.
L’Ordre social
L’Ordre s’est en tout cas engagé activement sur certains sujets sociétaux. Dans la foulée du Grenelle de 2019, le Cnom a entrepris de lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, sous l’impulsion de sa vice-présidente Dr Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi. Au total, 86 conseils départementaux se sont dotés d’une commission Vigilances-Violences-Sécurité. Dorénavant le médecin peut signaler au procureur de la République des violences conjugales – et lever le secret médical, idéalement avec le consentement de la victime – dès lors qu’il estime que cette dernière est en danger imminent. L’Ordre entend prolonger sa lutte contre toutes les violences et les discriminations (refus de soins) et s’engager contre la pédocriminalité dans les rangs médicaux.
« Il faut saluer l’engagement ordinal, la libération de la parole et la prise de conscience institutionnelle », confie le Dr Glaviano-Ceccaldi, persuadée que la nouvelle composition du Cnom peut-être un atout pour poursuivre l’action initiée. « Les femmes ont une pugnacité qui font qu’elles ne lâchent pas le morceau. »
Les patients aussi seront attentifs au changement d’équipe à la tête du Conseil national et espèrent une plus grande ouverture. « L’Ordre doit être garant de l’éthique, de la qualité des soins et de la transparence mais il devrait l’être aussi de l’humanisme, affirme Gérard Raymond, président de la fédération d’usagers France Assos Santé. Il devrait être promoteur d’un meilleur accès aux soins, du travail en équipe et de l’évolution de la rémunération pour répondre aux attentes de la société. »