Malgré les consignes de silence des dirigeants de Carmat, l’information autour du cœur artificiel made in France est régulièrement sujette à court-circuit. « Ceci est une vraie difficulté à laquelle nous étions insuffisamment préparés », reconnaît le Pr Alain Carpentier, dans l’interview qu’il a accordée au « Quotidien » (28 avril).
La stratégie « cœur artificiel et bouche cousue », comme l’a baptisée « Libération », n’a pas résisté longtemps. Le 20 décembre, deux jours après l’implantation du cœur Carmat à l’hôpital européen Georges-Pompidou, l’exploit fuitait, chamboulant les plans de com’. Les Prs Carpentier et Christian Latrémouille, le chirurgien qui avait dirigé l’équipe pour la première implantation, tenaient une conférence de presse, alors que rien n’était censé filtrer avant la fin de l’essai clinique, portant sur quatre patients. Le Pr Carpentier le souligne en effet : « Il est très inhabituel de communiquer les résultats d’un essai patient par patient. » Jusqu’à la mort de Claude Dany, 74 jours après l’implantation, les bulletins de santé sont pour le moins laconiques, ils ne mentionnent pas les opérations dont le patient a fait l’objet à plusieurs reprises, ni la trachéotomie, ni le branchement d’un respirateur artificiel. Lors d’un entretien le 3 mars avec « le Monde », le président de Carmat, Jean-Claude Cadudal, fait très fort : il évoque les projets de l’entreprise sans faire part du décès de Claude Dany, intervenu la veille. Décès qui entraîne la suspension de la cotation en Bourse du titre Carmat le 4 mars.
Et quand enfin le Pr Carpentier prend la parole pour avancer l’hypothèse d’un court-circuit à l’origine de l’arrêt de la bioprothèse et du décès de Claude Dany, ses propos sont démentis illico par l’autre cofondateur de Carmat, le Dr Philippe Pouletty, médecin devenu capital-risqueur.
Chaos de com’ en cascade
D’autres courts-circuits se produisent dans le même temps. Les applications du cœur Carmat inaugurent-elles un changement de paradigme, pour passer de la chaîne de solidarité gratuite des greffes à une dimension marchande et high-tech ? « On nous avait toujours présenté le cœur artificiel comme une solution permettant d’attendre plus longtemps un greffon », se souvient Claire Macabiau, présidente de la Fédération des associations de greffés. Or, le Pr Jean-Noël Fabiani (chef du service cardiovasculaire d’HEGP) explique au « Quotidien » (24/02) que le cœur Carmat constitue « la première vraie alternative à la transplantation ». Mais le Pr Carpentier, toujours dans « le Quotidien » (28/04), assure que « le cœur artificiel total définitif n’a pas pour vocation de remplacer les transplantations cardiaques, mais de les compléter en palliant le manque de greffons et en répondant aux besoins de malades qui ne sont pas éligibles à la transplantation ».
Sur la mise au point de la bioprothèse aussi, la communication est chaotique : lors de l’AG de Carmat, le 2 avril, le président du conseil d’administration, Jean-Claude Cadudal, déclare que « la phase de recherche et développement est terminée. Il reste à finaliser des activités sur les systèmes externes et l’autorégulation physiologique, mais l’objectif de Carmat en 2014, outre de boucler les essais cliniques, est de passer à la phase industrielle à proprement parler et de monter en production ». Tel n’est pas le point de vue du Pr Carpentier, qui indique « la phase de RD n’est jamais bouclée, qu’elle se poursuit en parallèle aux résultats des implantations cliniques, pour étudier toutes les améliorations souhaitables de la bioprothèse, en les classant par ordre d’importance et de faisabilité » (« le Quotidien » du 28/4). On pense bien sûr à la question de l’autonomie des batteries, aux problèmes liés aux dimensions, au poids et au bruit du cœur artificiel.
Publications à très bas régime
Les publications scientifiques et les communications lors des congrès sont des plus réduites. À ce jour, un seul article a été publié, titré sur l’hémocompatibilité in vitro du nouveau cœur artificiel total bioprothétique, dans le « European journal of cardiothoracic surgery », le 4 avril 2012, article cosigné par le Pr Carpentier et Antoine Capel, Willem van Oeveren et Piet Jansen. Cette pénurie d’information scientifique suscite des interrogations dans la communauté médicale, comme celle du Pr Daniel Loisance, ex-chef du service de chirurgie cardiaque d’Henri Mondor, qui « ne croit guère au miracle sur un sujet qui reste extrêmement difficile, (…) où personne n’a contrôlé les tests de fiabilité [tests d’endurance effectués depuis 2002, NDLR] et où le problème de l’autonomie n’est pas résolu ».
En fait, les informations les plus complètes semblent destinées aux investisseurs. Pourtant, ceux-ci s’impatientent. Du moins les petits porteurs, qui détiennent 37 % du capital, avec 9 000 actions. « Quelle a été la cause réelle de l’arrêt brutal du premier cœur, s’interroge l’un d’eux. La truffe (Truffle capital, NDLR) le sait, EADS le sait, Carpentier le sait. Il n’y a que les PP [petits porteurs, NDLR] qui n’ont pas le droit de savoir, ils sont sûrement trop nazes pour y piger quelque chose ? »
Toujours sur le forum Boursorama, l’un de ces petits porteurs observe que « ça tire à vue entre les divers univers, et qu’en parlant au « Quotidien », le Pr Carpentier veut reprendre la main sur les financiers ». Mais ceux-ci sont à la manœuvre. Alors que depuis le départ, le Pr Carpentier milite pour un développement franco-français de son invention, les tensions sont vives, là encore. Lors de l’AG du 2 avril, le président du CA a annoncé que la société a débuté « des activités préliminaires aux États-Unis » et qu’elle prévoit de « constituer un groupe d’experts américains pour la conseiller ». Certes, il indique que la trésorerie est en amélioration et permet de disposer des ressources nécessaires, qu’il n’y a pas de besoins immédiats en terme de nouveaux investissements.
Les petits porteurs sont dubitatifs et évoquent l’entrée prochaine dans le capital d’« une boite américaine », citant Edwards, et évoquant les approches de Carmat avec 5 autres firmes. Si les essais sont bons, estiment-ils, il y aura d’autres candidats au rachat. « Le souhait de rester français ne peut tenir qu’un certain temps, lâche, sibyllin, le Pr Carpentier, 25 ans c’est déjà pas mal. » La « prouesse médicale française », saluée par François Hollande comme « une action exceptionnelle au service du progrès humain », le cœur Carmat va-t-il continuer à battre sous pavillon tricolore ?
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