Bien sûr, le monde change, bien sûr, la médecine paternaliste disparaît, et c’est heureux. Et le patient participe à la construction du soin, il est donc normal qu’il donne son avis. La question est plutôt de savoir comment ?
La fiche de satisfaction telle qu’elle est utilisée à l’hôpital, représente un modèle vertueux et constructif. Le patient note différents points ayant jalonné son parcours d’hospitalisation et peut donner son avis en fin de questionnaire La plupart du temps anonyme, celui-ci est exploité, analysé ensuite par l’équipe de soin. Des actions d’améliorations peuvent être mises en place ou des points positifs renforcés. Il s’agit bien là d’un outil de construction du prendre soin.
On remarquera que, dans ce cas de figure, la notation n’est pas publique, que chaque moment du parcours fait l’objet d’une appréciation, et que la réponse est possible dans les cas où le questionnaire n’est pas anonyme. Un modèle collaboratif et constructif à l’opposé de ce que propose Google ou des sites de notation publique de nos exercices.
La notation publique « avis google » n’est pas adaptée, en l’état, à l’exercice médical. Les conséquences de son utilisation peuvent être désastreuses. L’avis peut être anonyme, tout peut y être dit et aucune vérification de ce qui est relaté n’est possible pour le lecteur. Le médecin ciblé voit sa possibilité de réponse restreinte par le respect de son serment et de son code déontologie, il ne peut rompre le secret médical.
Soit, à la lecture du commentaire, il reconnaît la ou les consultations incriminées : parce que les arguments portés sont suffisamment précis ou que l’avis est signé. Le médecin pourra alors joindre le patient et ouvrir une explication privée… Mais c'est assez rare… Soit le médecin n’a aucune possibilité de savoir qui a écrit l’avis qui le cible et il ne peut bien sûr pas répondre, hormis qu’il ne reconnaît pas la consultation incriminée.
Plus pénalisant qu'une sanction ordinale
Dans tous les cas, sans l’action de l’auteur de l’avis, ou de la plateforme (dans le cas où les propos tenus enfreignent la charte de la société ou la loi), cet avis ne sera pas retiré et restera visible de tous, par-delà les frontières et sans limite de temps.
Un avis, c’est une inscription sur le mur du lieu d’exercice du médecin mais un mur qui pourrait être visible de tous à chaque instant et partout, dès qu'un accès à la plateforme est disponible. Un avis est donc potentiellement plus puissant qu’une sanction ordinale, qui, par essence, voit ses effets limités dans le temps et son affichage limité dans l’espace.
De la facilité d’accès et la quasi-absence de règles, peuvent naître les effets pervers. C’est ainsi que des médecins peuvent être soumis à des cabales telle que la multiplication d’avis anonymes sous adresses IP différentes. Récemment, un médecin a reçu plus de 88 avis négatifs en quelques jours, avec pour conséquences un effondrement de sa patientèle et une nécessité de soutien de son entourage et de sa structure syndicale face à ce qui ne pouvait être vécu que comme une injustice.
Cet exemple n’est pas isolé, loin de là, et les médecins agressés, insultés sur leur fiche google sont toujours plus nombreux. Ainsi la notation des médecins rejoint celle des hôtels, des restaurants, et autres activités commerciales. Le consommateur s’y exprime sans limites autres que les lois de Google, bien différentes des lois françaises (droit à l’oubli par exemple).
Le médecin est en retard ? Avis google. Il parle peu ? Avis google. Les journaux de sa salle d’attente sont anciens ? Avis google. Le certificat d’arrêt de travail n’a pas été obtenu ? Avis google. Le médicament escompté a été non prescrit ? Avis google. Le médecin a semblé ne pas porter toute l’attention nécessaire ? Avis google. Dans de nombreux cas, le rédacteur de l’avis ne précisera pas le motif réel de sa plainte mais étendra celles-ci à d’autres aspects au vu de son ressenti… Ainsi le médecin se verra brocardé sous le sceau d’une réalité parfois subjective, voire irrationnelle.
La médecine n'est pas un commerce
Si la médecine était un marché, si la médecine était un bien que l’on achète, si le médecin était un prestataire de services sans règle, sans éthique, sans déontologie, tout pourrait s’accepter et, à l’invective et la désignation, pourrait servir de réponse le détail de la consultation dans tous ses aspects… Mais ce n’est pas le cas.
Nous sommes médecins, nous savons tous la complexité, la fragilité et l’unicité du moment de soin et, par-dessus tout, nous savons lire l’humain: nous pouvons donc comprendre la colère, le doute et les questionnements. Et y répondre. Et, sinon, nous pouvons expliquer pourquoi. Mais cet échange doit se faire autour de conditions propres à la spécificité de l’exercice médical.
La médecine n’est pas un commerce. Les plateformes d’avis, qu’il s’agisse de méga plateformes comme google ou autres entreprises commerciales, l’oublient sciemment, pour exploiter une source de revenus. Ne nous voilons pas la face : les avis sont un marché très lucratif. Un marché qui a un intérêt certain à ce que le médecin soit perçu comme un vendeur de bien ; et la médecine comme un produit de consommation. Un marché, dont une des bases est l’accessibilité et la visibilité : « Je suis armé, google est toujours avec moi, à la moindre occasion je tire. » Un marché qui se moque du fait que 40 à 50 % des médecins généralistes ont au moins un signe caractéristique du burn out et de l’épuisement professionnel qui prévaut en ville comme à l’hôpital public ou privé.
Le combat face à cet ogre est-il perdu ? En matière médicale, nous ne sommes qu’au début de son utilisation. C’est ainsi que nous avons pu lire, de l’institution ordinale, un conseil curieux : faire multiplier les avis afin d’opérer une sorte de dilution, face à un secteur qui impose sa loi parfois extra territoriale. Ce n’est pas cette solution que nous prônons face au monde qui change. Il ne peut y avoir de capitulation. L’éthique, la déontologie, les valeurs médicales doivent être au centre de la relation médecin-patients, avant, pendant et après le soin. Le respect de la spécificité de la médecine doit s’imposer aux plateformes. Les médecins doivent pouvoir bénéficier du droit à l’oubli et les avis s’effacer au bout d’un temps déterminé.
Les avis des patients doivent être facilités, afin, comme en établissement, de faciliter la construction du prendre soin. Cette possibilité doit être encadrée et normée, afin que la médecine ne devienne pas un bien marchand, le soin, un produit; et le patient un acheteur, demain orienté vers une médecine low cost.
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