LE QUOTIDIEN : Pourquoi la France a-t-elle fait le choix d'étendre l'obligation quand d'autres pays ont de bonnes couvertures vaccinales avec des vaccins uniquement recommandés ? Pourquoi ce choix législatif ?
Dr DANIEL LÉVY-BRÜHL : La proposition de la ministre de la santé Agnès Buzyn fait suite à un processus de longue date. En particulier, le rapport de Sandrine Hurel en janvier 2016 avait pointé du doigt que le statu quo avec le maintien d'un double statut vaccins obligatoires/vaccins recommandés n'était plus tenable.
La concertation citoyenne lancée par la suite par Marisol Touraine, ministre de la santé à l'époque, a mis en exergue le manque de cohérence dans le choix des vaccins obligatoires - la poliomyélite par exemple ayant été éliminée en Europe et presque partout dans le monde - et ceux simplement recommandés, alors que des flambées de rougeole se sont succédé en France. Le double statut de vaccins faisait que les vaccins recommandés étaient perçus comme n'étant pas aussi sûrs ni aussi efficaces ni même aussi importants que les vaccins obligatoires.
Il n'était pas possible de rester au milieu du gué. Pour décider du statut à choisir, c'est là qu'interviennent les données de Santé Publique France (SPF). Les couvertures vaccinales étaient excellentes pour les vaccins obligatoires (diphtérie, tétanos, polio) et pour certains vaccins recommandés combinés aux obligatoires (coqueluche, Hæmophilus b). En revanche, l'hépatite B affichait 10 % de couverture en moins. De même, les vaccins administrés plus tard, comme le ROR et contre le méningocoque C, avaient de moins bons résultats. Le fardeau épidémiologique, notamment pour la rougeole avec 35 encéphalites et 20 décès entre 2008 et 2011, a confirmé la dimension collective de la vaccination : sur les 20 décès, 8 sujets présentaient une contre-indication vraie à la vaccination, comme l'immunodépression. Se vacciner, c'est aussi protéger les plus vulnérables d'entre nous.
La survenue d'effets indésirables graves après les vaccins fait peur. C'est ce qui nourrit la défiance envers la vaccination. Que peut-on en dire aujourd'hui ? Comment s’assurer que tous les événements graves remontent au système de pharmacovigilance ?
Beaucoup d'événements surviennent après la vaccination mais tous ne sont pas dus au vaccin. Un lien de temporalité ne signifie pas lien de causalité. Il est donc nécessaire de faire la part entre relation causale et coïncidence temporelle pour évaluer la sécurité d'un médicament et d'un vaccin.
Pour répondre à la question, il faut procéder en plusieurs étapes au niveau mondial. Aucun pays ne peut affirmer détenir toute l'information sur les effets secondaires, graves et moins graves.
La pharmacoépidémiologie a pour vocation d'investiguer les effets secondaires suspectés, sur la base des signaux de pharmacovigilance pour des événements indésirables graves qui remontent des notifications des vaccinateurs ou de la population elle-même.
Quand un petit signal est détecté, des investigations complémentaires sont donc déclenchées, de plus en plus fréquemment à l'aide de grandes bases de données médico-administratives dans lesquelles tous les actes de soins et les pathologies diagnostiquées sont enregistrés. C'est par exemple ce qui s'est passé en France avec la SNIIRAM (base exhaustive de remboursements des soins de l'Assurance maladie) à la suite de quelques cas de maladie auto-immune survenus chez des jeunes filles après le vaccin HPV. L'étude a conclu qu'il n'y avait pas de surrisque de maladie auto-immune, hormis un doute sur un potentiel très faible risque de syndrome de Guillain-Barré.
Aujourd'hui, on peut dire que les systèmes de pharmacovigilance sont assez sensibles pour les effets secondaires graves ou inattendus.
Vous parlez de petits signaux. Faut-il médiatiser les affaires pour avoir une réponse ?
Je ne pense pas. Souvenez-vous du risque de narcolepsie avec le vaccin H1N1, il a été identifié rapidement. La sensibilité aux vaccins n'est pas la même que pour n'importe quel autre médicament. S'agissant de vaccins destinés à des nourrissons en bonne santé, l'attention des scientifiques, des politiques et de la société en général est très forte.
Même s'il est difficile de quantifier précisément un risque, le système de pharmacovigilance des vaccins est très actif. Pour les vaccins rotavirus par exemple, le risque d'invagination intestinale aiguë a été confirmé rapidement après différentes études ou analyses de bases de données à l'internationale, qui ont pu estimer l'incidence à 1-6 cas pour 100 000 enfants vaccinés.
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